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LA MONTAGNE D’HIVER

— Une clause du testament de l’arrière grand-père. L’héritier devait s’y soumettre, ou laisser l’argent aller à d’autres. Cet arrière grand-père avait édifié sa fortune en transportant du bois jusqu’à Lachine avant le creusage du canal. Il faisait affaires avec des commerçants anglais, il devait avoir recours à des interprètes. Il a eu tant de mal à se débrouiller, qu’il s’était juré que ses descendants seraient bilingues. Il prenait un moyen dangereux. Pour certains, ce ne fut pas un succès. Le Colonel, lui, est demeuré très canadien-français, très attaché à nos coutumes, et bon catholique.

— Il a parlé de Varsovie, l’autre jour ?

— Il y a fait un séjour après la première guerre. Il a aussi vécu deux années complètes à Paris. Avec moi, qu’il voit partir tous les matins pour la messe, il ne s’étend pas sur les aventures de sa jeunesse. Parfois, il s’arrête subitement en plein récit. Je fais celle qui ne s’aperçoit de rien, mais je ris en moi-même. Tu imagines bien qu’il n’est pas resté… enfant de chœur ! Tel qu’il est, il est charmant, et digne d’amitié. Avec tant d’occasions d’errer, qu’il soit croyant, et que sans amour-propre, il paraisse l’avoir constamment manifesté, suscite mon admiration. Quand il fait le récit des moments les plus pathétiques, au Front, il ne manque jamais de souligner qu’il a été miraculeusement protégé. Les soldats qui entendaient la messe, et recevaient l’absolution avant d’aller à l’attaque, étaient si visiblement préservés, dit-il, que ceux qui n’avaient aucune religion couraient après l’aumônier, parce qu’ils voulaient eux-aussi, emporter au combat un chapelet et une bénédiction ! Il te montrera avec un grand respect, la petite statue de la Vierge qui l’a suivi dans toutes ses expéditions, que sa femme lui avait donnée à son départ. Il te parlera de son Ranch dans l’ouest, pendant les années qui suivirent,