Page:Le Parnasse contemporain, I.djvu/113

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C’est la fin d’un grand deuil. — La veuve blanche et rose
Travaille avec lenteur à sa métamorphose. —
Elle est toute rêveuse en se déshabillant.
Un vague souvenir de ses douleurs passées
Mêle un papillon noir à ses riches pensées,
Essaim de pourpre d’or qui va s’éparpillant :

« Je puis donc reléguer dans le fond d’une armoire
Ce long châle funèbre, et cette robe noire
Qui me gêne le cœur depuis quatorze mois.
Si le deuil est le fard des blondes, je suis brune…
Les veuves d’aujourd’hui, j’en connais… mais pas une
Ayant porté si jeune une aussi lourde croix.

» Ah ! j’aurais préféré la haire et le cilice
Aux lois de l’étiquette, à l’irritant supplice
D’endosser tous les jours l’austère mérinos.
Dire que j’ai porté des gants de filoselle !
Que j’avais de faux airs de vieille demoiselle
Dont la chair historique a séché sur les os !

» Non, jamais Velléda, la prêtresse des Gaules,
N’a dû voir ruisseler sur ses blanches épaules
Sa grande chevelure à flots plus abondants ; —
Et, sans trop me flatter, j’ai vraiment peine à croire
Que mon piano d’Érard ait un clavier d’ivoire
D’un ordre aussi parfait que mes trente-deux dents.

» Quand je songe au défunt, c’était un galant homme
Un peu mûr, un peu chauve, érudit, mais en somme
Offrant à l’analyse un type assez banal ;
Un de ces beaux diseurs précieux et vulgaires
Écoutant leur parole, et ne se doutant guères
Qu’ils n’ont jamais pensé plus haut que leur journal.