Page:Le Parnasse contemporain, I.djvu/177

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SENECTUS




Morne fatalité, Vieillesse, horreur des yeux,
O Vieillesse, ironie amère dont les Dieux
Se plaisent à railler le néant que nous sommes,
Toi par qui les plus beaux et les meilleurs des hommes
Sont déchus, dégradés, sont tout chargés de maux,
Et courbés vers le sol comme des animaux,
Pourquoi subissons-nous l’horreur de ton outrage ?
— Dieux du sublime éther, nous sommes votre ouvrage,
Le plus cher cependant et le plus précieux :
Vous nous avez donné votre âme et mis les cieux
Dans nos regards, et fait de la femme un calice,
Une aurore, une neige : or, par quelle malice,
Avant de la tuer, désirant la flétrir,
Infliger à sa chair la honte de vieillir ? —
Vous nous avez créés et jetés sur la terre,
Dieux du ciel, pour charmer votre ennui solitaire :
Poëtes éternels, ô bizarres rêveurs,
Vous n’êtes donc jamais troublés par nos laideurs,
Et ne souffrez donc pas, lorsque par les années,
Ces roses et ces lys, toutes ces chairs fanées,
Font devant votre rêve un cortége hideux,
Venant salir l’azur tranquille de vos yeux ?