Aller au contenu

Page:Le Parnasse contemporain, I.djvu/276

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Alors je me sentis envahi de délire,
Je frappai le parquet et les murs de mon front,
Je répétai les noms que j’aimais à lui dire :
— Le bonheur en fuyant avait lavé l’affront.

Oh ! que j’aurais voulu, pendant cette heure étrange,
Pouvoir la ressaisir entre mes bras nerveux,
Prendre encore un baiser dans son sourire d’ange,
Et lui crier : Tu mens ! — et mourir tous les deux !

Et comme je cherchais, — recherche machinale, —
S’il ne restait rien d’elle en ce lieu désolé,
— Soudain je t’aperçus, — ô statuette pâle !
En un coin isolé.

Victime d’un oubli, tu restais immobile,
Déesse sans autel — au temple déserté.
Je voulus te briser comme chose inutile,
Mais je fus effrayé de ta fragilité.

Alors je te couvris de baisers et de larmes.
Je te parlai du temps si vite évanoui ;
Vingt fois je te redis les jalouses alarmes
Qui torturaient mon cœur, autrefois ébloui.

Puis, je te conservai ; — je te dotai d’une âme,
Je crus que tu pourrais comprendre quelque jour,
Pour mettre en cendre un cœur, tout ce qu’il faut de flamme,
Tout ce qu’il faut d’oubli pour tuer tant d’amour !…

Souvent, je t’entretiens pendant une heure entière,
Et tu restes muette ! — En ce monde moqueur
Parlerai-je toujours à des Vénus de pierre,
A des femmes sans cœur ?


ALEXIS MARTIN