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LECONTE DE LISLE


Il reluit sur ma face irritée, & me nomme :
— Kaïn, Kaïn ! — Khéroub d’Iahveh, que veux-tu ?
Me voici. — Va prier, va dormir. Tout s’est tu,
Le repos & l’oubli bercent la terre & l’homme ;
Heureux qui s’agenouille & n’a pas combattu !

Pourquoi rôder toujours par les ombres sacrées,
Haletant comme un loup des bois jusqu’au matin ?
Vers la limpidité du Paradis lointain
Pourquoi tendre toujours tes lèvres altérées ?
Courbe la face, esclave, & subis ton destin.

Rentre dans ton néant, ver de terre ! Qu’importe
Ta révolte inutile à Celui qui peut tout ?
Le feu se rit de l’eau qui murmure & qui bout,
Le vent n’écoute pas gémir la feuille morte.
Prie & prosterne-toi. — Je resterai debout.

Le lâche peut ramper sous le pied qui le dompte,
Glorifier l’opprobre, adorer le tourment,
Et payer le repos par l’avilissement ;
Iahveh peut bénir dans leur fange & leur honte
L’épouvante qui flatte & la haine qui ment ;

Je resterai debout ! Et du soir à l’aurore,
Et de l’aube à la nuit, jamais je ne tairai
L’infatigable cri d’un cœur désespéré !
La soif de la justice, ô Khéroub, me dévore.
Écrase-moi, sinon, jamais je ne ploîrai.