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LE PARNASSE CONTEMPORAIN

Les longs siècles s’en vont ; beaucoup de Dieux sont morts
Depuis la nuit où l’Hèbre en son eau révoltée
Roulait avec horreur la tête ensanglantée
Du poëte, jouet adorable des flots.
Toujours depuis ce temps des milliers de sanglots
Humains, jusqu’au seuil d’or des célestes demeures,
Inexorablement suivent le vol des Heures ;
L’homme désespéré ne voit devant ses yeux
Qu’un voile noir cloué sur la porte des cieux,
Et, muré tout vivant dans la nuit ténébreuse,
Ne sait plus rien, sinon que sa douleur affreuse
Doit à jamais rester muette, & qu’il est seul.
Mais moi, baisant les pas sacrés du grand aïeul,
J’entends, j’entends encor l’âme de la Cithare
Exhaler ses premiers cris vers le Ciel avare
Que sa voix frémissante essayait d’apaiser,
Et soupirer avec la douceur d’un baiser !