Page:Le Parnasse contemporain, III.djvu/155

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Et je pensais : tout va se couvrir de poussière,
Tout est clos, plus de jour, le soir plus de lumière ;
On a roulé les peaux de tigre où si souvent
Devant un beau feu gai je m’étendais rêvant ;
Sur son marbre glacé notre thé de vieux Sèvres
Oublié, dormira longtemps loin de mes lèvres ;
Et bientôt la pendule, au bruit sec et charmant,
Abandonnée aussi se taira brusquement.
J’attendais : le départ est moins dur que l’attente ;
Je souffrais sourdement. Mon âme haletante
Avait des soubresauts comme un oiseau blessé :
Je ne pouvais encor m’arracher au passé
Et mon amour, enfant gâté de l’habitude,
S’était mis à trembler devant la solitude.
Muet, le dos courbé, la tête dans ma main,
Je songeais au réveil amer du lendemain !
Oh ! combien de repas sans gaîté, de soirées
Sans musique ! Combien de nuits désespérées !
Et je la maudissais et j’étais irrité
De l’entendre marcher dans la chambre à côté !
Mais l’heure avait sonné : ce n’était point la peine
De troubler nos adieux par une ombre de haine.
Et lassé de souffrir, me levant brusquement,
Je courus l’embrasser avec emportement.
O les derniers regards ! ô les dernières fièvres !
Les pleurs chauds et salés se mêlant sur les lèvres,
Le cœur qui vous fait mal, les sanglots contenus
Et les baisers poignants jusqu’alors inconnus !
Je ne sais plus combien dura cette torture,