Page:Le Petit Parisien, supplément littéraire illustré, année 4, n° 191, 3 janvier 1892 (extrait).djvu/4

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Il rencontrait parfois, jadis, sur la promenade plantée d’arbres ou sur le Vieux-Marché, un enfant, un gamin, qui l’avait pris en affection, le saluait par son titre officiel : « Bonjour, commandant ! » et à qui, en manière de causerie, il apprenait la manœuvre avec un bâton ou, du bout de sa canne, la topographie militaire, sur le sable ou la terre des allées :

— Tu vois, gamin, ça s’appelle une parallèle… Voilà comment on ouvre une tranchée… Regarde la manière de placer une batterie…

Et l’enfant écoutait, écoutait, ouvrant ses grands yeux, redressant sa petite taille.

Depuis l’occupation allemande, le commandant ne l’avait pas rencontré, son petit ami, soldat en herbe, maréchal de l’avenir !

Il sortait peu, d’ailleurs, le commandant. Enfermé chez lui comme un loup, il enfonçait sur ses oreilles velues sa calotte de velours pour n’entendre pas les gros talons des patrouilles ennemies battant le pavé ! Il rognonnait et maugréait tout seul, cuvant sa bile, ne voulant pas voir les soldats étrangers qui manœuvraient là, si près de lui. Un jour, pourtant, il se promenait, frôlant les murs comme un honteux, ne regardant que le trottoir pour ne rien voir, rien, rien, pas un de ces uniformes bleu sombre, bleu de ciel, blancs ou rouges, lorsqu’il s’entendit appeler par une voix d’enfant :

— Commandant !

Il releva la tête.

— Mon commandant !

Il regarda derrière lui ; son visage tanné essaya de sourire.

— Ah ! c’est toi, gamin !

C’était le petit, le compagnon des bonnes heures d’autrefois, l’apprenti soldat, le troupier de cinq ans, qui se dressait sur ses talons, voulait hausser sa bouche rose jusqu’aux oreilles hérissées de poils du commandant, et, la tête blanche s’inclinant vers la tête blonde, le vieil officier entendit le garçonnet qui lui disait :

— Ils ne les ont pas tous pris, les drapeaux tricolores ! pas tous, commandant : — j’en ai un !