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1re Année. — No 1.
Samedi, 15 Décembre 1849.
LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ.
LE
PEUPLE VOSGIEN,
JOURNAL DE LA RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE.

On s’abonne hors d’Épinal : — à Rambervillers, chez le citoyen Méjeat, limonadier ; — à Bruyères, chez le citoyen Jacquot, huissier ; — à Mirecourt, chez le citoyen Rollin-l’École ; — à Dompaire, chez le citoyen L. Guyot, propriétaire ; — à Saint-Dié, chez le citoyen Dubois, brasseur ; — à Gérardmer, chez le citoyen Guery, notaire ; — à Remiremont, chez le citoyen Mougin, imprimeur ; — à Neufchâteau, chez le citoyen Chaffaut, limonadier. — (Dans un prochain numéro nous complèterons ces adresses)

Des difficultés de toute espèce avaient empêché jusqu’ici le Peuple vosgien de paraître. Nous avons pu les surmonter ; à l’avenir nous paraîtrons provisoirement, et régulièrement tous les Samedi. La juste impatience de nos actionnaires et abonnés sera satisfaite. La Démocratie comptera désormais un organe de plus.

Le titre de notre journal a pu faire supposer qu’il doit continuer le Peuple : Nous avons la prétention d’être nous ; de n’être à la remorque de quiconque. Le titre Peuple vosgien, n’a d’autre signification que celle d’être l’expression de la Démocratie des Vosges.

Épinal, le 15 Décembre 1849.

À NOS CONCITOYENS.

Le premier besoin de nos populations, comme celui de tous les peuples en général, est un besoin d’éducation morale et politique, un besoin d’émancipation intellectuelle.

Ce ne sont pas les bons instincts qui manquent à nos populations, ce sont les lumières qui, éclairant l’homme sur la nature de sa véritable destinée, lui donnent les sentiments de ses droits et de ses devoirs comme homme et comme citoyen.

Voilà les notions premières qui font défaut au sein des masses populaires.

L’ignorance, l’erreur et les préjugés règnent encore sur la terre et couvrent l’humanité d’épaisses ténèbres. C’est à peine si, dans chaque génération qui passe, quelques rares intelligences percent la nuit qui les enveloppe, et s’élèvent jusqu’aux rayons vivifiants de la vérité. L’immense majorité du genre humain naît, vit et meurt dans le chaos.

Ce funeste milieu dans lequel l’homme se développe et demeure submergé, fausse ses tendances natives et pervertit les germes du bien que la nature a déposés dans son cœur. Là est la cause première, le principe générateur de tout le mal que l’on impute à l’homme.

Consultez ces vingt millions de travailleurs qui peuplent les villes et les campagnes de la France, de cette France qui marche à la tête des nations, portant le flambeau du progrès et de la civilisation moderne, demandez-leur quelles sont l’origine et la fin de l’homme, quels sont les droits, ses devoirs dans la famille et dans la société ? Ils ne sauront que répondre, car ils ignorent jusqu’à leur propre nature, et les plus élémentaires notions du droit et du devoir leur sont inconnues.

Après une halte dans la boue monarchique, la société a entrevu l’ère glorieuse où l’appelle sa destinée ; d’un bond vigoureux elle a cru y toucher… mais une dernière chaîne de priviléges et de préjugés a retenu son élan.

Le peuple a brûlé en février le trône du roi parjure, mais une nouvelle royauté a son lit tout fait dans les priviléges financiers, et dans l’ignorance des travailleurs.

Aujourd’hui la mission de la République c’est de réaliser, d’incarner, dans l’ordre économique et social, la liberté, la fraternité, l’égalité ; c’est de constituer, sur des bases définitives, le gouvernement par le peuple et pour le peuple. La mission de la République c’est de n’intervenir chez les peuples, nos voisins, que pour les soutenir dans leur indépendance et les convier au banquet de la liberté. Toute autre guerre est contraire aux droits, à la liberté des peuples ; la conquête n’est qu’une forme de l’oppression.

L’œuvre est grande et belle, mais elle exige le concours sérieux de toutes les intelligences, de toutes les aptitudes. Quand de pareils problèmes sont posés, nous avons mieux à faire que de nous abaisser à des mesquines questions de personnes, ou à de stériles polémiques d’intérêts particuliers.

La presse est un grand levier qui peut rendre de puissants services à la cause de l’humanité. Mais la presse douée de cette force, de ce pouvoir, ce n’est point cette presse mercantile qui fait de la pensée un objet de trafic et de spéculation, qui se voue à l’indigne métier de fausser et d’égarer l’opinion publique au profit de qui la solde ; non, c’est la presse généreuse et grande qui comprend la dignité et l’importance de sa mission, la presse qui marche, libre et ferme, à la conquête de la vérité, de la justice et du bien ; qui les proclame hautement, dans l’intérêt et au profit de tous, la presse enfin dont tous les vœux, tous les efforts, toute l’activité tendent à l’amélioration morale et matérielle du peuple.

Organe de la démocratie vosgienne, notre journal défendra la République, qui est le droit commun ; il défendra la nouvelle Constitution, quelqu’imparfaite qu’elle puisse être, parce qu’elle a consacré définitivement la République, et qu’il faut toujours partir d’un point convenu pour aller plus avant.

Pleins de respect pour les saintes traditions de nos pères, nous acceptons les développements que la jeune Montagne a donné à ces maximes fécondes, dans sa déclaration au peuple en 1848, parce que nous y trouvons résumées les aspirations larges et fécondes de la France nouvelle.

Rallions-nous donc en un concert immense à la République. Le Peuple Vosgien, prêchera d’exemple pour le triomphe de nos principes et la régularisation de nos institutions ; mais si jamais une main sacrilège était portée sur le pacte fondamental qu’à l’instant même elle soit brisée au cri de vive la République !

LA SITUATION.

Tous les quinze jours, nous donnerons à nos lecteurs un résumé des faits les plus importants du mouvement politique qui s’opère incessamment dans les idées, dans les actes, dans les institutions, dans le gouvernement, dans les mœurs de la nation. Cette revue, prise de haut, aura pour avantage de présenter, au point de vue démocratique, des faits qui, réunis et groupés suivant les rapports naturels et logiques qu’ils ont entre eux, ne laissent pas dans l’esprit ce vague et cette fatigue qui résultent du manque de suite, de l’incohérence et de l’isolement où on les trouve dans les feuilles quotidiennes.

Dans toutes nos appréciations, nous donnerons à l’expression de notre pensée ce vrai caractère de modération dont nos adversaires n’ont que le masque. Toutefois nos jugements n’auront point cette gravité immuable de la déesse Thémis. Jésus, notre maître et notre modèle, n’avait point toujours cette divine douceur dont il est le type vénéré ; nous nous rappellerons que, dans sa bonté inaltérable, il pardonnait aux faibles qu’avait atteint la corruption du monde, il gardait son indignation pour les corrupteurs, et qu’un jour il prit en main le fouet pour chasser du temple les marchands qui en souillaient la sainteté. Quelque soit le sentiment qui nous anime, nous tâcherons cependant de ne point sortir des bornes des convenances ; nous nous défierons de nos passions que nous ne voulons point faire intervenir. La justice sera notre seule guide, mais qu’on se rappelle qu’il est souvent des hommes et des faits pour qui elle doit se montrer durement impitoyable.

Un fait seul nous suffira pour résumer l’histoire politique de ces derniers temps. C’est le changement si brusque du ministère, cette quasi-révolution gouvernementale qui vient de jeter un instant le trouble dans toutes les idées, dans tous les partis. Voyons.

M. Louis Bonaparte fut porté au fauteuil de la présidence, par la coalition de toutes les fractions monarchiques qui firent retentir un grand nom aux oreilles du peuple si sensible aux souvenirs de gloire. Elles voulaient se servir d’un homme, dont on connaissait les prétentions à la succession impériale, pour battre en brêche toutes les institutions républicaines et trop populaires. Et M. Louis Bonaparte se prête à ce rôle subalterne pour arriver au pouvoir. Il flatte, il caresse les hommes importants ; puis, maître de ses vœux, il feint de se mettre à la remorque de la majorité, il simule avec elle une espèce de mariage, dans l’espérance d’arriver à la domination conjugale. Mais la femme ne le cède pas en ruse au mari. La majorité engage tout doucement le président dans une voie funeste, de manière à lui faire donner un démenti à tous ses antécédants. Il a promis l’amnistie ; elle la refuse. Il veut la fusion des partis ; ses premiers ministres sont tous monarchistes et la persécution s’organise contre les républicains. Il a combattu autrefois le pape pour les libertés Italiennes ; elle l’engage dans une guerre contre la République romaine, pour rétablir le pape dans ses droits temporels, c’est-à-dire absolutistes. Il a juré la Constitution ; le président et l’assemblée ne pourraient la violer impunément.

Mais les aveugles sont toujours aveugles. Le parti qui mène la majorité, entraîné par la logique de sa situation, met ses cartes sur table ; elles sont blanches. Falloux tue l’université et met l’instruction primaire à la merci du clergé. Montalembert donne franchement pour solution à la question révolutionnaire l’absolutisme religieux, sans lequel suivant lui, il n’est véritablement point de société humaine possible. Berryer, à son tour, n’admet pour fondations de gouvernement de la nation que le principe du droit divin. Le clergé, le pape, Henri V, voilà les bases du gouvernement qu’on nous prépare. La majorité reste compacte en présence de toutes ces révolutions. M. Thiers, les doctrinaires, les orléanistes, qui, par compensation, obtiennent 300 000 fr. de rente annuelle à Mme la duchesse d’Orléans, n’ont rien à opposer à cet envahissement patent de la légitimité. La conspiration est flagrante, mais les conjurés oublient deux choses, c’est que nous avons une Constitution, et, malgré cette Constitution, un président qui ne veut point se faire l’humble exécuteur des volontés de l’assemblée nationale.

Louis Bonaparte a vu les partis à l’œuvre ; son ministère l’a trompé en faisant chorus avec les ennemis de la République et les siens. Son nom va devenir la risée publique, si par un coup, inouï jusqu’alors dans les fastes ministériels, il ne donne une autre tournure à la situation. C’est alors que paraît ce message singulier qu’on a qualifié de coup de tête, et par une émotion soudaine tout semble ébranlé. La conspiration légitimiste qui a son foyer à la droite de l’assemblée est attêrée un instant, mais ne cède pas encore la victoire. Les monarchiens de l’autre couleur, toute la réaction en un mot jette les hauts cris, et cette majorité, qui s’appelle pompeusement le grand parti de l’ordre, va se dissoudre.

Une nouvelle politique, contraire à celle qu’a suivie l’assemblée législative et qui en sera la condamnation, va être inaugurée, pense-t-on de toutes parts ; l’expédition romaine rentrera dans la voie qui lui a été primitivement assignée, et en France, la République sera affermie. Mais les nouveaux ministres, dans le peu de mots qu’ils ont dit jusqu’à présent, nous ont montré la même complaisance pour cette majorité qui boude ; ce sont les mêmes sentiments, par conséquent la même platitude. Le président de la République a voulu se dégager du filet où l’avait enveloppé la réaction ; il l’a rompu et il a bien fait, car il était sur l’abime. Mais à ce coup éclatant, il fallait joindre des actes et il a eu tort de s’arrêter. La conspiration est revenue de sa stupeur ; elle compte sur la faiblesse et l’inaptitude de Louis Bonaparte, elle sent, malgré tout que, par ses votes, elle est maitresse de la situation. Pour agir de son côté, elle attend l’enjeu de M. Bonaparte.

Il y a donc une lutte déclarée entre le président de la République et la majorité de l’assemblée. Le premier a inauguré une politi-