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follement, pour submerger la famille de l’ouvrier au jour du chômage.

L’égalité devant le pain quotidien résulte d’un droit, et l’avantage que donne la nature à un homme, ne peut violer ce droit. Voilà la grande injustice que nous professons aux yeux des hommes qui parlent de questions dont ils ne connaissent pas les données, et qui ne s’en sont même jamais occupés sérieusement. Et si plus tard un cataclysme survient, malheur à eux devant Dieu, car ils sont les hommes éclairés de la société, et ils seront coupables de ne pas avoir pris l’initiative.

(La suite au prochain numéro.)

La commission du budget chargée d’examiner le projet de loi pour le rétablissement de l’impôt des boissons a puissamment contribué au déplorable résultat que nous enregistrons aujourd’hui. Pas une voix ne s’est élevée dans son sein pour défendre le décret de la Constituante, pour demander le maintien de l’abolition d’une taxe odieuse. Son rapport le constate, toutes ses délibérations ont été prises à l’unanimité ; nous croyons donc devoir signaler à la reconnaissance du pays les membres de cette commission qui a si bien secondé M. Bonaparte et son ministère, et préparé avec tant d’intelligence et de patriotisme la voie a marché la majorité. Voici leurs noms :

MM. Sauvaire-Barthélemy, Fournier, Combarel de Leyval, Loyer, Fresneau, Lepeletier-d’Aulnay, Wolowsky, de Douhet, Chasseloup-Laubat, Larrabure, Gouin, Berryer, André, de Charencey, Vitet, Beaumont (Somme), Benoist d’Azy, Gase, Creton, Augustin Giraud, Suchet, d’Albuféra, de Panat, Bocher, Granier, Hernoux, Buffet, Mathieu Bodet, Druet-Desvaux, Gaslonde, Legros-Devot.

La Patrie disait hier, que les huit cent mille signatures apposées au bas des pétitions contre le rétablissement de l’impôt sur les boissons ne témoignaient nullement des véritables sentiments du pays ; et, à l’appui de son opinion, ce journal faisait le raisonnement que voici : « Il y a 350 000 débitants de boissons en France ; chacun d’eux a signé les pétitions et les a fait signer par un serviteur ou un débiteur ; il en est résulté 700 000 signatures. Les hôteliers et les cabaretiers sont donc à peu près les seuls qui ne veulent pas du projet de loi de M. Bonaparte. »

Ce calcul fait honneur à l’esprit inventif de la Patrie ; mais il offense singulièrement la vérité. Chacun sait, en effet, que le plus grand nombre des pétitions déposées proviennent de communes où le quart, la moitié, les trois quarts même, — et quelquefois plus, — des citoyens ont protesté contre l’impôt. Pour ne citer qu’un exemple, le seul département de la Gironde a fourni plus de trente mille signatures aux pétitions ?

La Patrie devrait bien laisser à M. Charles Dupin l’industrie de la sophistication des chiffres.

C’était à la bourgeoisie qu’il appartenait de protester contre les singulières doctrines émises par M. de Montalembert. La bourgeoisie, anti-gouvernementaliste par essence, fait consister toute la Révolution dans la réforme fiscale, comme le prolétariat, anti-capitaliste, la fait consister dans la réforme économique. Tandis que le prolétariat poursuit l’abolition de l’exploitation de l’homme par l’homme, la bourgeoisie, elle, poursuit l’abolition du gouvernement de l’homme par l’homme, en d’autres termes, l’abolition de l’impôt.

C’est surtout contre cette tendance révolutionnaire de la bourgeoisie que M. de Montalembert s’était prononcé.

Il appartenait surtout à un bourgeois de réfuter ses sophismes. C’est M. É. de Girardin, en qui se résume l’instinct réformiste de la bourgeoisie, qui s’en est chargé. Voici quelques extraits de la virulente sortie qu’il lance à l’adresse du champion de l’impôt des boissons.

(Voix du Peuple)

Ni vos convictions ni vos allures n’ont changé ! Vous êtes, en 1849, ce que vous étiez en 1848, ce que vous étiez en 1847.

En 1847, sous le règne de Louis-Philippe, il n’y avait aucun danger à être de l’opposition ; vous étiez plein d’ardeur !

En 1848, vous aviez peur, et je vous rassurais ; vous me flattiez ?

En 1849, vous n’avez plus peur, et je vous effraie ; vous m’injuriez !

Voilà qui prouve que vous êtes bien toujours le même homme, que vous n’avez changé ni de convictions ni d’allures ! Brave, quand il n’y a pas de danger ; humble, quand vous tremblez ; arrogant, dès que vous êtes rassuré ! Je vous reverrai humble, monsieur, très-humble, car les périls ne sont pas dissipés, car le jour n’est pas éloigné, peut-être, où les déserteurs de la liberté, traduits devant leurs conseils de guerre, auront besoin de défenseurs intrépides. Ce jour-là, monsieur, j’aurai oublié l’injure d’hier. La religion, qui est sur vos lèvres, est dans mon cœur.

« L’impôt sur le capital est la drogue qui doit nous tuer » avez-vous dit à la tribune ; vous vous trompez, monsieur, la « drogue » qui vous empoisonnera, c’est l’impôt sur la consommation, qui a pour effet d’encourager les fraudes, les sophistications, d’affamer, de démoraliser, d’irriter les populations, en possession aujourd’hui d’un droit dont elles ne se laisseront pas dépouiller : le droit de suffrage.

Sachez-le, monsieur, l’impôt sur les boissons laissera, sur le champ de bataille électoral, encore plus de républicains du lendemain que l’impôt des 45 centimes n’y a laissé de républicains de la veille.

Aussi intelligente que la Révolution présomptueuse et inexpérimentée, la Réaction aveugle et routinière va voter sa déchéance politique. J’en aurais peu de soucis, je dois vous l’avouer, monsieur, si j’étais sûr que ce fût l’heure de la Liberté qui dût sonner ; mais je crains que ce ne soit l’heure de la Vengeance ! Qui sera assez fort pour la désarmer ? Qui sera assez habile pour diriger une Révolution impétueuse trois fois détournée de son cours ? Je vous le demande, monsieur ?

Il vous en coûte peu, je le sais, monsieur, de vous rétracter, de vous signer le front, de vous meurtrir la poitrine, de confesser votre erreur avec l’éclat de cette prétentieuse humilité taillée à facettes que vous excellez à faire scintiller ; mais vraisemblabalement, il sera trop tard alors pour abjurer votre idolâtrie fiscale et reconnaître qu’il n’y a de bon impôt que celui qui a pour assiette la justice.

Si je connaissais un impôt plus rigoureusement juste que l’impôt sur le capital, c’est celui-là que j’adopterais, c’est celui-là que je proclamerais. Mais saurait-il exister un impôt plus juste que celui qui se définit ainsi : — Assurance proportionnelle à la valeur de l’objet assuré. Point de capital, point d’impôt. Qui possède beaucoup, paie beaucoup. Qui possède peu, paie peu. Qui ne possède rien, ne paie rien.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Grands docteurs de la tribune, qui raillez les grands docteurs de la presse, entendez-vous donc ! Il le faut absolument ; car, après avoir déclaré que les « impôts de consommation étaient les plus justes et les plus légitimes, » vous avez ajouté : « C’est de l’orthodoxie financière pour moi ! » Mais qui a renié la liberté par peur, dès que le péril éclatera, n’hésitera pas à renier la fiscalité !

Tel commencement, tel fin. N’avez-vous pas commencé, monsieur, votre carrière de grand docteur de la presse, en fondant, en 1826, avec M. Lamennais, le journal l’Avenir, que, deux ans après, vous alliez désavouer solennellement à Rome ?

Vous avez sanctifié la palinodie !

Plus de modestie, monsieur, et moins d’humilité.

14 décembre 1849.

Émile de Girardin.

Voici le texte du projet de loi relatif à l’instruction primaire, qui a été présenté dans la séance de vendredi, par M. le ministre de l’instruction publique :

Art. 1er. Jusqu’à la promulgation de la loi organique de l’enseignement, l’instruction primaire dans chaque département est spécialement placée sous la surveillance des préfets.

Art. 2. Les instituteurs communaux seront nommés par le préfet du département et choisis par lui, soit parmi les laïques, soit parmi les membres des associations religieuses vouées à l’enseignement et reconnues par l’État, en se conformant, relativement à cette option, au vœu exprimé par le conseil municipal de la commune.

Art. 3. Dans les cas prévus par l’art. 23 de la loi du 22 Juin 1833, le préfet réprimande, suspend et déplace les instituteurs. Il peut les révoquer en conseil de préfecture, et sauf le pourvoi de l’instituteur révoqué devant le ministre de l’instruction publique en conseil de l’université.

Art. 4. L’instituteur révoqué ne peut ouvrir une école privée dans la commune où il exerçait les fonctions qui lui ont été retirées.

Art. 5. Les comités d’arrondissement restent investis du droit de suspendre les instituteurs, soit d’office, soit sur la plainte du comité local, et conformément à l’art. 23 de la loi du 22 juin 1833. La suspension prononcée par le comité d’arrondissement devra, dans le délai d’un mois, être déférée au préfet, qui statue définitivement.

Art. 6. Les dispositions de la loi du 22 juin 1833 restent en vigueur en tout ce qui n’est pas contraire à la présente loi.

Le jury de la Haute-Garonne vient de répondre négativement sur toutes les questions qui lui ont été soumises dans le procès intenté à MM. Janot, Lucet, Berruyer, Villa, Jorest, Forcade, Baillard de Salles, sous la prévention d’un complot contre le gouvernement de la République au mois de juin dernier.

Si nous avons bien compté, c’est le dernier procès qui se jugera en province sur ce fameux complot du 13 juin. — À ce sujet nous ne pouvons nous empêcher cette réflexion : tous les accusés traduits devant les jurys ont été acquittés, les accusés de Versailles, seuls, ont été condamnés.

Chronique locale.

Scrutin sur la question de savoir si lassemblée passera à la discussion des articles du projet de loi relatif à l’impôt des boissons.

Nombre de votants… 964

Majorité absolue… 333

Pour… 445

Contre… 220

Ont voté pour : MM. Aubry, Huot, Perreau, Febvrel, Buffet, Houel, Ravinel, Resal.

Contre : M. Forel


Grâce à M. Bonaparte et à son préfet M. Eugène Dépercy, la dissolution de la garde nationale d’Épinal est une œuvre consommée. Les armes ont été rendues en meilleur état qu’elles n’avaient été livrées.

Les écritures étaient tenues avec tant d’ordre par le commandant, aidé de ses deux adjudants, que le désarmement s’est fait avec une régularité remarquable… Le pouvoir a donc ses armes… il ne lui manque plus que les cœurs…

Par son calme, sa modération et sa prudence, la population d’Épinal a enlevé tout prétexte de répression aux agents réactionnaires, si désireux d’empoigner les gens, qu’ils ont plutôt l’air de vivre en pays ennemi qu’en terre libre de France.

Un seul moment nous avons craint que l’indignation n’allât trop loin, c’est lors de l’entrée dans la ville des trois compagnies de la ligne. Tout le monde sait, en effet, que la musique de la ville qui s’était portée au devant, suivant l’usage, a été refusée par le chef du détachement, que nous sommes loin d’accuser, car nous n’ignorons pas qu’un officieu l’ayant prévenu, avait jeté le doute dans son esprit… Nos craintes, cependant, n’ont pas tardé à disparaître dans l’enthousiasme général, lorsque nous avons vu la musique, conduite par son jeune chef, qui a fait preuve de tact et de fermeté, rentrer en ville en faisant retentir les rues de nos airs patriotiques… Plus de deux mille voix l’accompagnèrent jusqu’au pied de l’arbre de la Liberté, et les dernières notes de la Marseillaise furent suivies d’un immense cri de : Vive la République ! qui alla percer comme un poignard le cœur de ceux qui, après avoir tout fait pour rendre la République impossible, voudraient aujourd’hui faire croire que la République seule est la cause des misères du peuple…

Cette conduite ferme et intelligente de la population d’Épinal a suffi pour couvrir de ridicule tout ce luxe de précautions inutiles, qui ont été regardées plutôt comme une insulte que comme une mesure préventive.

À propos de ce désarmement, on nous a communiqué un document assez curieux, dont nul n’oserait récuser l’authenticité, puisqu’il est extrait des pièces officielles. Nos lecteurs y verront avec plaisir que M. Dépercy doit être expert en fait de désarmement, car ce n’est pas le premier auquel il a participé.

« Des détachements partis d’Arbois, et porteurs d’ordres donnés par l’inculpé Dépercy, tentaient de s’emparer des armes dans les communes rurales.

» Au maire de Vilette. « Je vous invite à livrer à Remi Treuvey les dix fusils de votre garde nationale ; au cas de refus de votre part, vous assumez une grande responsabilité sur votre personne, mais votre patriotisme m’est garant que vous obtempérez, à ma demande.

» Salut et fraternité.

{{droite|Signé Eug. Dépercy »

Extrait de la déposition du maire du Groson :

« Le 14 avril, environ les trois heures de l’après-midi, l’instituteur vint me dire que des particuliers d’Arbois venaient d’arriver dans la commune et s’étaient déjà emparés des 16 fusils de la garde nationale, et que, dans ce même moment, ils se disposaient à enfoncer les portes de l’église pour sonner le tocsin… Je demandai à ces particuliers pourquoi ils étaient venus désarmer les gardes nationaux de Groson. L’un d’eux me dit qu’ils étaient venus sur les ordres du maire d’Arbois, et il me remit à l’instant même une réquisition écrite, datée d’Arbois le 14 avril 1834, signé Eug. Dépercy, pour le maire empêché, par laquelle j’étais invité à remettre à ces gens-là 20 fusils.

» Voici cette réquisition : « Le maire de la commune de Groson est requis de remettre au chef commandant le détachement, porteur du présent, les 20 fusils qui sont en votre pouvoir.

» Arbois, le 14 avril 1834.

Pour le maire empêché, Eug. Dépercy. »

» … Peu de temps après, Eugène-Regnauld Dépercy s’est fait jour à travers la foule qui encombrait les portes de l’Hôtel-de-Ville, et après avoir pénétré dans le vestibule, a dit d’une voix forte et élevée en levant sa canne au-dessus de sa tête : « L’insurrection est proclamée, il nous faut des armes, M. le maire ; je vous somme, au nom de l’insurrection, de me livrer les armes qui sont à l’Hôtel-de-Ville. » Des cris aux armes ! aux armes ! se sont fait entendre alors de toutes parts. »

Nous demanderons à nos lecteurs si ce document ne remplit pas leur âme de tristesse… N’est-il pas douloureux en effet de voir le même homme qui a proclamé l’insurrection républicaine de 1834, provoquer, sous la République, le désarmement de la garde nationale d’Épinal, dissoute sans autre motif connu que le refus des officiers d’aller à une messe du Saint-Esprit à laquelle ils étaient invités… Grands de ce monde, que la vanité et les préjugés monarchiques affublent encore d’habits brodés, de