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dérivait de deux causes principales. La race conquérante avait perdu peu à peu, au voisinage des Romains établis sur le Rhin, la chasteté, dont le rôle social a été justement apprécié, à deux époques de décadence, par Tacite[1] et par Montesquieu[2]. Elle avait souvent pris, au contact de

  1. Chez les Germains, « les mariages sont chastes, et il n’est pas de trait dans leurs mœurs qui mérite plus d’éloges. Presque seuls entre les barbares, ils se contentent d’une femme, hormis un très petit nombre de grands qui en prennent plusieurs, non par esprit de débauche, mais parce que plusieurs familles ambitionnent leur alliance. Pour que la femme ne se croie pas dispensée des nobles sentiments et sans intérêt dans les hasards de la guerre, les auspices mêmes qui président à son hymen t’avertissent qu’elle vient partager des travaux et des périls, et que sa loi, en paix comme dans les combats, est de souffrir et d’oser autant que son époux. Aussi tes femmes vivent-elles sous la garde de la chasteté, loin des spectacles qui corrompent les mœurs, loin des festins qui allument les passions. Dans ce pays on ne rit pas des vices ; corrompre et céder à la corruption ne s’appelle pas vivre selon le siècle. Quelques cités, encore plus sages, ne marient que des vierges. La limite est posée une fois pour toutes à l’espérance et au vœu de l’épouse ; elle prend un seul époux, comme elle a un seul corps, une seule vie, afin que sa pensée ne voie rien au delà, que son cœur ne soit tenté d’aucun désir nouveau, qu’elle aime son mariage et non pas son mari. Borner le nombre des enfants, ou tuer quelqu’un des nouveau-nés, est flétri comme un crime et les bonnes mœurs ont là plus d’empire que n’en ont ailleurs les bonnes lois. » (Mœurs des germains. Tacite, Œuv. compl. Paris, 1831, t. VI, p. 29.)
  2. « Il y a tant d’imperfections attachées à la perte de la vertu chez les femmes, toute leur âme en est si fort dégradée, ce point principal ôté en fait tomber tant d’autres, que l’on peut regarder, dans un État populaire, l’incontinence publique comme le dernier des malheurs et la certitude d’un changement dans la constitution. » (Montesquieu, Esprit des lois, liv. VII, ch. VIII.)