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LE PRÉSENT.

— Eh ! père Grandpré, cria une vieille femme. Venez donc voir un peu.

Le père Grandpré, soutenu par deux hommes, car il avait été un des blessés du combat, s’avança au milieu de la foule qui se refermait derrière lui.

En arrivant sur le seuil et en voyant sa fille accroupie au fond, il pâlit affreusement et chancela en regardant autour de lui d’un air égaré ! Les regards se partageaient entre lui et sa fille. Il se sentit enveloppé d’une curiosité féroce et fut pris contre tous ces gens d’une haine terrible, mais il ne voulut pas leur donner le plaisir de sa colère.

— Tiens ! tu es là, petite ! Qu’y faisais-tu donc ? Allons, lève-toi et donne-moi le bras. Ce coquin-là m’a blessé ; je souffre horriblement.

Marguerite se leva et vint donner le bras à son père. Ce dénoûment excita, comme bien on pense, le désappointementdes spectateurs. Ils s attendaient à des cris, à des larmes, à des emportements, et rien. C’était un spectacle manqué ; cette tranquillité du père Grandpré les exaspérait.

— Est-il bête, ce vieux-là, murmurait-on ; il lui demande ce qu’elle faisait !

— Elle n’y venait pas cueillir la violette, bien sûr !

Georges promenait sur toute cette scène un regard de mépris ; mais quand ses yeux rencontraient Marguerite, sa poitrine se soulevait et se gonflait de pitié ! Bientôt ce fut sur lui que se porta l’attention de la foule, et alors aux rires, aux sarcasmes succédèrent des cris de mort.

— À genoux le Russe ! Il faut le fusiller !

— Tout de suite !

— Et nous le jetterons dans l’étang !

Vingt fusils s’abaissèrent. Marguerite, par un mouvement irrésistible, s’échappa d’auprès de son père, et enlaça de ses bras le cou de Georges. Une clameur d’indignation accueillit cet admirable élan d’amour et de détresse. Les yeux de Pierre Jarry étincelaient. Il arracha brutalement Marguerite des bras de Georges.

— Allons à genoux, dit-il. Finissons-en.

Une idée sublime traversa en ce moment l’esprit de Georges. Ce n’était plus un enfant superstitieux et timide ; il avait, dans ce désordre, le calme et le sangfroid d’un homme mûr.

— Messieurs, dit-il en élevant la voix, je ne crains point la mort et je ne vous demande point la vie. Je pense toutefois qu’il vous est indifférent de vous débarrasser de moi dans deux heures ou maintenant. Vous devez avoir dans votre village un prêtre et une église. Veuillez m’y conduire. Vos soupçons m’ont dicté un devoir dont mon cœur seul m’eût fait une loi, si à cette heure j’avais encore le loisir de l’écouter. Mademoiselle est pure, je le jure, comme l’ange que Dieu lui a donné pour gardien ; et pour le prouver, j’en veux faire ma femme devant Dieu et devant les hommes. Laissez-moi l’épouser, et vous me tuerez après. Le