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Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/109

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LE SALON DE 1857.

qu’au bout du champ, puis elles reviendront sur leurs pas, et toujours de même jusqu’au coucher du soleil. Une couleur opaque et grise couvre tout, les glaneuses, la terre et le ciel ; la plaine est morne ; pas un chant d’oiseau, pas un cri de grillon dans l’herbe : on se croirait transporté dans ces plaines d’amère tristesse, lugentes campi, que dépeint Virgile. C’est la campagne prise par son côté pauvre et douloureux ; c’est la fatigue et la misère ; ce sont les haillons et la faim ; c’est la soif et la sueur en plein champ. Cette grave et sombre peinture est pleine de réflexions et d’enseignements ; elle ne séduit point les yeux, mais elle émeut l’esprit ; elle ne parle point aux sens et éveille peu l’imagination ; mais la tristesse et la pitié se lèvent devant elle comme devant un tableau vivant de douleur et de misère. Elégantes Parisiennes, arrêtez-vous devant ce tableau, et comprenez, si vous pouvez, pourquoi il fut un temps où vos pères, vos maris et vos frères étaient si souvent éveillés à l’appel du tambour. Voilà les gueux des campagnes ; vous pourrez voir les gueux de la ville en sortant.

Il ne faut pas être plus royaliste que le roi ; il ne faut pas non plus, monsieur Breton, être plus réaliste que M. Courbet. M. Breton veut nous montrer la Bénédiction des blés. Si toutes les pompes de la nature souriante ont jamais pu s’étaler sur un tableau, certainement c’est sur celui-ci. Les croix d’or, les bannières de soie où la Vierge est peinte, les encensoirs, sont sortis de la maison de Dieu. Ils s’en vont sous le gai soleil, portés par des enfants blancs et précédant le vénérable prêtre, appeler le regard d’en haut sur cette vieille terre encore une fois féconde. Ne voyez-vous pas d’ici un océan d’épis blonds ou vermeils, et au milieu d’eux des bleuets, et des nids près des bleuets, et dans l’azur de l’air des essaims de fauvettes, d’alouettes, d’hirondelles, et de vieux arbres couverts d’un jeune feuillage, et mille richesses, mille grâces naïves, et derrière le prêtre la procession entière vêtue de beaux habits presque neufs, vieillards, enfants et jeunes filles chantant en chœur Alléluia ! de leurs voix fraîches ou cassées ? Voilà ce que devait être une bénédiction des blés faite par un artiste de goût et d’émotion. M. Breton en a fait quelque chose de gai dans le genre de M. Biard. Voici le conseil municipal bien ridicule dans ses habits noirs étriqués ; voici le garde-champêtre, sabre nu et costumé à mourir de rire ; voici enfin une plaine nue, triste, sans fleurs, sans oiseaux, presque privée d’air et de lumière. Cependant, je dois l’avouer pour être impartial, j’ai entendu louer cette triste caricature d une des plus touchantes cérémonies du christianisme. Ô réalisme ! ô hibou déplumé qui hais la beauté et le soleil, la lumière et l’art vrai, aurais-tu mis la griffe sur ce pauvre M. Breton ?

C’est un bien gracieux talent que le talent de M. Landelle. Il excelle aux jeunes têtes de femmes candides et naïves. Sa Juive de Tanger, sa Jeune Fille finlandaise, sa Femme américaine, sont de ravissantes créatures bien dessinées, bien costumées et bien peintes ; elles ont un petit air de famille qui ne déplaît pas, mais