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LE MISANTHROPE.

Rocroy — ou Austerlitz. Telles ne sont pas sans doute certaines doctrines mondaines ; elles prophétisent un progrès fatal pour se dispenser d’y collaborer, et ne croient pas au mal, parce qu’elles ignorent combien est âpre et infréquentée la route du bien. — Mais laissons toutes ces considérations et revenons à notre poëte, pour ne plus nous occuper que de ses vers et de son talent. Un mot suffira pour ceux qui ne l’ont pas lu. M. Baudelaire est depuis longtemps familiarisé avec tous les secrets de la mètrique et toutes les délicatesses du langage : esprit ouvert et écrivain laborieusement distingué, il nous paraît avoir condensé dans le morceau suivant quelques-unes de ses meilleures qualités.


DON JUAN AUX ENFERS.


Quand don Juan descendit vers l’onde souterraine,
Et lorsqu’il eut donné son obole à Caron,
Un sombre mendiant, l’œil fier comme Antisthène,
D’un bras vengeur et fort saisit chaque aviron.

Montrant leurs seins pendants et leurs robes ouvertes,
Des femmes se tordaient sous le noir firmament ;
Et, comme un grand troupeau de victimes offertes,
Derrière lui traînaient un long mugissement.

Sganarelle, en riant, lui demandait ses gagea,
Tandis que don Luiz, avec un doigt tremblant,
Montrait à tous les morts errants sur les rivages
Le fils audacieux qui railla son front blanc.

Frissonnant sous son deuil, la chaste et maigre Elvire,
Près de l’époux perfide et qui fut son amant,
Semblait lui réclamer un suprême sourire
Où brillât la douceur de son premier serment.

Tout droit dans son armure, un grand homme de pierre
Se tenait à la barre et coupait le flot noir ;
Mais le calme héros, courbé sur sa rapière,
Regardait le sillage et ne daignait rien voir.


M. Baudelaire, déjà connu par une traduction remarquable et consciencieuse d’Edgar Poë, et par deux volumes de Salons, verra, nous le croyons, son nouvel appel à la publicité réunir les conditions de tout succès : injures passagères et suffrages durables.