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Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/131

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LE SALON DE 1857.

La Confidence est aussi une charmante chose ; c’est une lettre d’amour lue au dessert par un ami à son ami. Rien de plus spirituel que les deux figures. L’auditeur, évidemment un peu jaloux de sa bonne fortune, se renverse sur sa chaise avec un petit air mystérieux et ennuyé qui dit tout bas : Ce n’est que cela, on m’en a écrit bien d’autres ; et le lecteur, préoccupé de son effet manqué, semble dire, avec un peu d’embarras dans son triomphe : Elle est folle de moi, comme vous voyez, mais je n’y tiens pas ! Fi ! les petits vilains qui tachent ainsi de café et de vin d’Aï les lettres parfumées de leurs maîtresses et font fustiger au dessert leur amour par leur vanité. Le portrait de M. Batta est un chef-d’œuvre en raccourci comme tous les chefs-d’œuvre de M. Meissonier. Je n’en finirais pas si je voulais louer dignement l’un après l’autre tous ces admirables tableaux : l’Attente, le Jeune homme du temps de la régence, l’Homme en armure, Un Peintre ; je passe à la famille de M. Meissonier.

M. Chavet en est l’aîné. Il a de la précision, du savoir-faire, du trait, de la finesse ; il manque des deux qualités essentielles de M. Meissonier, la grâce et la distinction. Ces qualités et ces défauts se trouvent à doses à peu près égales dans les trois toiles qu’il a exposées et qui évidemment sont une imitation du maître, l’Étude, la Partie de dominos, le Jeune homme lisant ; mais là où M. Chavet est plus lui-mème, c’est dans Un Estaminet en 1857. Il y a mieux là en effet que des figures correctement dessinées et bien posées, il y a de la composition, il y a des groupes, des contrastes. Les joueurs de billard sont bien observés ; les gens qui forment ce qu’on appelle en ces sortes d’endroits la galerie, assis ou debout, ont de l’expression ; le garçon de café est charmant de naturel, mais tout cela ne sent pas assez son estaminet. Tous ces gens sont trop propres, trop tirés à quatre épingles, trop ruisselants de chaînes et trop diaprés de bagues ; pas un grain de poussière sur ces redingotes, pas un atome de macadam sur ces souliers vernis. La distinction en peinture, ne nous y trompons pas, n’est point ce que nous entendons par ce mot dans la langue de tous les jours. Des loques, la hotte d’un chiffonnier, la table grasse de vin d’un cabaret peuvent être pleines de distinction. Ici, par exemple, une atmosphère plus enfumée, des nuages de tabac s’épaississant dans l’air, un broc de bière blonde répandu à propos sur une des tables, eussent donné du pittoresque, du relief et de la distinction par conséquent à l’estaminet.

Dans la Matinée dramatique, la Partie d’échecs, la Bonne aventure, de M. Fichel, je remarque les mêmes défauts. Peut-être avec un peu plus de noblesse, un peu plus de froid se glisse-t-il sous son pinceau. Qu’il y prenne garde, un peintre qui excellerait à dessiner bien et froidement, à revêtir ses dessins d’une couleur riche mais froide, aurait précisément toutes les qualités de ce cheval dont parle l’épigramme et qui n’avait qu’un défaut, d’être mort. Être froid, c’est être mort, ce que, par-dessus tout, il faut éviter.