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Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/140

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LE PRÉSENT.

avoir fait preuve pour l’homme, et chercher aussi en passant les motifs de sa gloire surfaite.

Au moment ou d’autres poëtes se perdent dans les nuages et les rayonnements du monde extérieur, Béranger interroge la fibre populaire, et ses vers ont le charme d’un écho fidèle. Béranger est du peuple ainsi que ses amours, et il a été immédiatement reconnu par ses frères. À partir de cette heure, tout le bruit poétique qui s’agite autour de lui sert de constellation à sa gloire : on a voulu du Béranger comme on demandait autrefois du Saint-Evremond, du Crébillon fils ; et d’autres, qui avaient aussi de belles chansons dans la tête, ont gardé le silence. Comment d’ailleurs auraient-ils pu lutter contre un homme qui avait eu la gloire de commencer, et à qui le tact, le jugement, une finesse exquise et l’à-propos, tenaient sans cesse lieu de génie ?

Laure, Éléonore, et toutes lee nobles figures qui planent sur les chefs-d’œuvre se détournent des chemins frayés ; des lèvres noires de poudre, et qui jurent, ne sont pas faites pour leur baiser les pieds. Mais regardez cette femme au regard aguerri, au pied aussi leste que la main, au nez et à la jupe retroussés ; la démarche n’inspire pas beaucoup de retenue ; on suit sans façon le dandinement de hanches provocantes… Psit ! Lisette ? Elle se retourne et vous montre un sourire rempli de promessesà courte échéance. Voilà la muse de Béranger. Lisette du reste est bonne fille, elle sympathise avec tous les caractères, et se plie comme un gant aux circonstances ; les changements de domicile ne lui font pas peur ; elle monte et descend avec la facilité de la Bourse ; aujourd’hui celui-ci, demain celui-là, pronoms très-démonstratifs ; mais, après tout, souvent femme varie. Qu’importe du reste, puisqu’elle n’oublie pas son poëte, et que, chaque dimanche, elle trinque avec lui à la guinguette, dans une belle robe de soie, dont il est inutile de rechercher l’origine. Ah ! M. de Béranger, vous êtes le séducteur des masses compactes. Tous les guerriers qui en sont à leur première étape du maréchalat aimeront votre Lisette, avec esprit de retour sans doute, et quelques maçons sans ouvrage lui prendront la taille. Prenez-y garde ! mais cela vous inquiète petitement, car vous êtes du peuple, ainsi que vos amours.

Le peuple cependant aurait tort de vous traiter avec une familiarité grande, car il doit être assez fier de vous pour se tenir un peu mieux en votre présence. Ne lui avez-vous pas appris des délicatesses de langage dont on n’avait pas encore caressé ses oreilles rebelles ? Philomène, Thétis et autres termes de la poésie impériale, lui ont été servis en musique. — Mais, voyez ce que c’est que d’être une bonne fois adopté, le peuple s’est énorgueilli de parler aussi bien. Et il ne s’est pas aperçu que votre gaieté gauloise était bien bon genre, votre pensée souvent obscure et génée dans une poésie prosaïque. Il ne s’est pas aperçu que vous chantiez le vin en buvant de grands verres d’eau ; les bois, en respirant un jardin potager ; le ciel, en regardant le plafond, et la mer, à côté du canal Saint-Martin. Il n’a pas