Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/163

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
155
L’ANNÉE DES COSAQUES.

dans l’azur de l’air. Toute aile se déployait à la brise, toute brise déployait son aile, et au milieu de cette joyeuse aurore s’avançait notre héroïne, le cœur gros de tristesse, portant alternativement sous chaque bras une petite robe verte et une petite robe bleue qui étaient, avec quelques pièces blanches serrées précieusement dans une bourse de soie, toute sa fortune. Peu à peu, l’influence de cette gaie matinée agit sur son cerveau alourdi ; ses tristesses s’envolèrent une à une comme ces bandes de chauves-souris que chasse le jour, et elle se prit à savourer, sans y prendre garde, ces plaisirs du voyage pédestre composés si délicieusement, à doses égales, de liberté, de mouvement et de grand air.

Mais ces plaisirs étaient brefs et entrecoupés de fréquents retours vers la réalité. Sur la route, les quelques voyageurs que rencontrait Marguerite portaient sur le visage un air de deuil qui ravivait bien vite le sien. C’étaient des paysans qui passaient d’un air soucieux, oubliant de lui adresser le cordial bonjour dont ils saluent d’ordinaire ceux qu’ils rencontrent ; c’étaient de jeunes soldats, l’air morne et fatigué, les habits en lambeaux, les souliers et la guêtre couverts de poussière, et dont bien peu songèrent à se retourner pour voir le charmant visage de la voyageuse. Les villages que traversait Marguerite avaient tous un air de désolation qui la serrait au cœur. On se sentait en pays conquis. Toute basse-cour était fermée, tout animal domestique rentré au bercail ou peut-être tué pour satisfaire l’appétit des envahisseurs. Dans ces alternatives de consolation et de tristesse que la nature extérieure et les habitations humaines envoyaient à Marguerite, elle oubliait le temps et la fatigue. Le soir, elle avait mis derrière elle dix lieues sur les quarante qu’elle avait à parcourir, et elle demandait l’hospitalité dans une ferme à peu près à mi-chemin de Nogent à Montereau. On la lui accorda ; elle y passa la nuit, et le lendemain, avant de partir, s’informa à la fermière si elle n’aurait point par hasard quelques vêtements d’homme à lui vendre. Elle pensait avec raison que plus elle approcherait de Paris, plus elle aurait à craindre que, seule, sans compagnon, son costume n’attirât sur elle avec les regards les pensées mauvaises et peut-être les mauvais propos. La fermière, excellente femme, s’empressa de mettre à la disposition de Marguerite toute la garderobe d’un sien fils, âgé de treize ans. Les tailles de l’enfant et de la jeune fille étaient, à peu de chose près, les mêmes, et Marguerite sortit de là avec la tournure et la mine du plus joli petit paysan qui ait jamais piqué les bœufs et conduit la charrue. Un large pantalon de velours bleu retombait sur son soulier ; une blouse de toile blanche écrue s’arrondissait autour de sa taille ; une cravate de soie noire serrait son cou, et une casquette posée sur l’oreille complétait la métamorphose. Les cheveux avaient été préalablement raccourcis, puis, par surcroît de précaution, renfermés avec un ruban sous la casquette.

À mesure que Marguerite approchait de la capitale de l’empire, le mouvement