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LA ROSE DU BENGALE.

Albert était riche et maître de sa fortune ; rien au monde ne pouvait l’empêcher de faire un voyage en Espagne, un beau pays où il y a du soleil et des jolies femmes. Il m’engagea à le suivre. ; mais madame de Marsec restait à Paris, et je restai. L’amour l’emporta sur l’amitié ; et c’est justice, car l’amour est une romance vite apprise et vite oubliée, tandis que l’amitié est une de ces vieilles chansons que l’on chante toujours. On revient à ses amis, ils savent attendre, on a la vie entière pour être à eux. En amour, c’est autre chose : il faut se dépêcher.

Rentré chez nous, Albert fit ses paquets, garnit son portefeuille de billets, et prit la route du Midi. Son cœur arriva avant lui-même : le trajet fut court, si l’on compte les heures ; bien long au gré de son impatience, comme si Marietta eût dû l’attendre à sa descente de voiture. Enfin il enjamba les Pyrénées. Son cœur battait à rompre sa poitrine quand il toucha la terre désirée. Ce n’était pas le tout d’être arrivé : l’Espagne est grande ; où était Marietta ? Il visita toutes les contrées sur son passage, traversa Barcelone, Madrid, Cadix et autres grandes villes ; hanta les rues, les promenades, les théâtres, les églises… Rien ! Il allait ailleurs ; rien ! Un matin, aux rayons du soleil levant, il vit dans le lointain se dessiner vaguement la Giralda, cette flèche hardie de la cathédrale de Séville qui va chercher querelle aux nuages. Il fureta de plus belle : rien ici, rien là, rien nulle part !


V

Pendant que notre voyageur demandait sa bien-aimée à tous les échos de l’Espagne, je voyageais aussi : mes pieds suivaient le chemin de la rue d’Antin, mon cœur le savait mieux encore. Madame de Marsec m’appelait « mon cher enfant, » et moi je l’appelais Rose, — nom qu’elle méritait bien. Nous nous aimions gaiement : elle n’était point coquette, je n’étais pas jaloux. Au diable ces amours sombres qu’accompagnent la fièvre, la jalousie et les larmes ! Ne vaut-il pas mieux s’aimer à son aise et sans perdre haleine ? Une fraîche matinée de printemps n’est-elle pas préférable aux pluies de l’automne ? C’est un sourire dans ma vie que le souvenir de cette petite Rose, si mutine et si éveillée. Tout était plaisir avec elle, même ses innocentes bouderies.