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Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/23

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L’ANNÉE DES COSAQUES.

bras et il se trouva debout. Les premiers pas furent pénibles, son sabre encore attaché à son ceinturon gênait sa marche et l’alourdissait, Marguerite le détacha.

— Comment vous témoigner ma reconnaissance ? dit le. jeune homme.

— D’abord en parlant le moins possible, ou plutôt en vous taisant tout à fait. Vous avez déjà peine à marcher, que sera-ce si vous parlez en marchant ?

Le jeune Russe se tut, mais son regard fut éloquent pour lui. Le mouvement lui donnait des forces, et son pied, à mesure qu’il s’éloignait du bouquet de bois où Marguerite l’avait trouvé couché, s’at. tachait moins à la terre.

Jusque-là Marguerite avait agi par l’entraînement de son cœur ; maintenant la réflexion suivait et son esprit était bien loin de l’enjouement qu’elle affectait.

La singularité et les difficultés de sa position la frappaient vivement : où conduirait-elle ce jeune homme ? Parviendrait-elle à le dérober aux regards des paysans dont le village à demi détruit avait exaspéré les esprits et envenimé les colères ? D’ailleurs elle n’était pas sans inquiétude elle-même sur la légitimité de.son action ; telle était sa haine pour les Russes, tel le fruit des principes du père Simon, qu’elle se demandait si elle faisait acte de bonne Française en sauvant ainsi un des envahisseurs de la patrie.

— Bah ! se dit-elle tout bas, en secouant sa jolie tête, et en faisant une petite moue toute coquette, l’Empereur tuera tous les autres, je puis bien en sauver un.

Ce raisonnement apaisant tous ses scrupules, elle s’achemina d’un pas plus ferme, en mesurant toutefois la vitesse de sa marche à l’état de faiblesse de son jeune protégé. Depuis quelque temps déjà, ils pouvaient s’apercevoir qu’ils étaient entrés dans la forêt au bruissement des feuilles sèches froissées sous leurs pieds ; après d’assez nombreux détours faits silencieusement par des sentiers perdus, Marguerite s’arrêta.

Ils étaient arrivés.

Alexandre MONIN.

(La suite au prochain numéro).