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DE LA MORALITÉ
EN MATIÈRE D’ART ET DE LITTÉRATURE.

Nous en sommes arrivés sur cette question, comme sur bien d’autres, à une confusion telle, qu’il est absolument nécessaire de déterminer en quoi consiste la moralité ou l’immoralité d’une œuvre d’art, et d’en revenir, pour ainsi dire, à une sorte de mise au point. Ce malentendu est fréquent aux époques de transition, et c’est le caractère de notre temps de chercher la fusion des principes inconciliables, de faire violence à la nature au profit de je ne sais quelle grâce sociale, de prendre l’effet pour la cause, et réciproquement. Cette contradiction permanente tient surtout au choc de deux courants contraires qui, loin de se faire équilibre, comme le prétendent les docteurs de la critique, bouleversent certaines idées reçues, et forment un déplacement assez semblable à celui que l’Océan imprime aux bancs de sable : de là les idées bâtardes émises par la masse des gens timorés, qui, n’osant pas s’abstraire absolument de leur cercle routinier, essaient de mitiger tant soit peu les idées nouvelles et leur donnent un passe-port qui porte le cachet de leur indécision. C’est l’histoire de la lutte éternelle entre les traditions du passé et les aspirations de l’avenir. Il arrive plus d’un moment où les camps se mèlent et où les partisans d’un même drapeau en viennent aux mains sans bien se rendre compte du sentiment qui les pousse au combat. C’est qu’en art il ne peut y avoir de drapeau. Une littérature qui manque d’idées générales n’est point une littérature ; elle finit par se dissoudre. La prétendue école de l’art pour l’art se rattachait, sans s’en douter, aux faits les plus importants des phases qu’elle a traversées ; voilà pourquoi sa devise était un mensonge de bonne foi, mais le mensonge n’en est que plus évident. Les romantiques qui se croyaient des novateurs, en revenaient, sans s’en apercevoir, aux archaïsmes de Ronsard, de la pléiade des vieux poëtes, et se rattachaient aux meilleures origines de notre langue et de son génie bien plus que les classiques