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LE PRÉSENT.

ruines du Parthénon, d’Homère et de Virgile, il n’existe plus rien pour eux. Ils exigent des lignes lumineuses sans repoussoir. Toute civilisation doit procéder directement de leurs théories sans passions, sans vices. Ceci n’est point une ironie, et il est facile de s’en rendre compte.

À force de vouloir être conséquent, on finit par devenir absolu ; et cependant tout est relatif en ce monde. Si l’on ne veut apercevoir dans la nature, par exemple, que le beau, il faut supprimerla maladie, les fléaux, et en même temps, l’hygiène qui les prévient, la médecine qui les réprime. Il faut mettre à néant là physiologie, qui décrit nos organes, la chimie, qui décompose les corps, et surtout la toxicologie, qui est la nomenclature des poisons. En un mot, il faut supprimer la science. Ne s’est-il pas trouvé nombre de rhéteurs qui ont déclaré la littérature et l’art incompatibles avec la science ?…

Il n’en va pas ainsi. Le mal est le repoussoir obligé du bien, comme l’ombre est la condition essentielle de la lumière. Ces principes deviennent banals à force d’être élémentaires. Eh bien ! une littérature ne peut pas plus se passer d’observation que les rayons lumineux ne peuvent se passer de demi-teintes et d’oppositions. Or, l’observationn’est pas autre chose que la science ; c’est la somme acquise des investigations d’une époque, aussi bien du laid que du beau, de ses croyances que de ses négations. Donc, littérature et science ne peuvent vivre, c’est-à-dire, s’élever, qu’autant qu’elles expriment d’une façon générale les besoins, les aspirations et les mœurs, QUELLES QU’ELLES SOIENT, du temps qu’elles prétendent guider et éclairer.

Voyez où l’on peut en arriver en pratiquant, au nom du beau, le système des éliminations ! Tandis que vous cherchez à établir un code du beau, une esthétique qui servira d’étalon (c’est le mot) à l’art proprement dit, il se trouvera parallèlement, à côté de vous, un prince de la pensée, un grand poëte qui viendra vous dire : « Prenez garde ! il n’y a de sacré au monde que la douleur, d’immortel en art et en littérature que les larmes. Le rire est diabolique ; l’ironie est chose fatale ; fruits du doute, ils enfantent le doute. Point d’ironie, c’est-à-dire, point de contrôle ; point de rire, même contre les ridicules, tnême contre les vices. À la place des idées, de l’analyse et de la synthèse, ne mettons que des images et des couleurs ; ne décrivons que ce qui est grand, saint et beau. En un mot, rayons du livre de l’humanité les génies pervertis qui ont enfanté Pantagruel, Don Quichotte, Faust, Don Juan, Manon Lescaut. »

Cette thèse n’est-elle pas soutenue de nos jours par un éminent poëte, fourvoyé dans la critique, qui voudrait présider aux destinées de la littérature comme il a cru présider à celles de la France ? Son blâme va jusqu’à Dante et ne s’arrête même pas au bon La Fontaine, qu’il ne daigne pas considérer comme poëte.

En vain lui répondrons-nous que tous les livres immortels qu’il met à l’index contiennent pour l’humanité les enseignementsles plus élevés, précisément parce