Aller au contenu

Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/270

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
262
LE PRÉSENT.

Et, renversée en arrière, les yeux pleins de larmes, les mains levées vers son frère, elle attendait le coup.

— Du moins, je mourrai de ta main, et ce sera mon seul bonheur depuis bien longtemps.

Baptiste laissa tomber son arme.

— Eh bien ! non, tu vivras, tu resteras ici avec ton amant. Et moi aussi, je resterai. On me fusillera : c’est ce que je veux.

— Te fusiller !… Et pourquoi ?

— Et ce cadavre !

Il montra du doigt le corps du pauvre Roczakoff étendu dans une mare de sang.

— Oh ! mon frère, sauve-toi ; il en est temps encore.

— Non, je reste ici.

— Tu veux donc mourir ?

— Oui, comme toi tu veux vivre avec ton amant.

— Baptiste, je t’en prie, pars !

Marguerite pleurait, sanglotait, suffoquait.

— Pars, pars, je t’en conjure !

À genoux aux pieds de son frère, elle élevait vers lui des bras suppliants et des yeux pleins de larmes, quand tout à coup elle poussa un grand cri et s’évanouit. Roczakoff venait d’apparaître ensanglanté près de son frère, levant sur lui, d’une main mal assurée, un long couteau. Baptiste le repoussa violemment ; le pauvre serviteur, à bout de forces, alla retomber au seuil de la porte, d’où il venait de se relever. Marguerite était toujours là, inanimée. S’élancer, la saisir dans ses bras, l’enlever, sauter par-dessus le corps de Roczakoff, arriver dans la rue, ce fut pour Baptiste l’affaire d’un instant. Les rues de Paris étaient désertes à cette heure ; il courut longtemps et s’arrêta près d’une borne. Il y déposa sa sœur. Le grand air l’avait ranimée ; elle rouvrit les yeux. Les pieds dans la boue noire de Paris, trempés par un ruisseau fangeux, sur lequel un réverbère pâlissant jetait sa triste clarté, elle ne dit qu’un mot :

— Baptiste, tu m’as tuée… Où suis-je donc ?

— Marguerite, ne crains rien : tu es près de moi, sauvée.

La tête de Marguerite retomba sur sa poitrine avec accablement.

—Écoute, je ne veux rien savoir de plus que ce que tu m’as dit hier. Tu vas retourner à Saint-Just.