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LE SALON DE 1857.

mortes et nonchalantes le long d’un corps abattu ! Comme il eût superbement étendu les eaux vertes d’un bout à l autre de son tableau, et de façon à vous faire frissonner ! Comme il eût su nuancer la douleur de 1’époux, de la mère, de l’enfant et du vieillard ! Certes, je puis bien dire, sans ètre accusé de politique, que la visite de Napoléon III aux inondés est un des actes qui peuvent honorer le plus un souverain, surtout faite avec cet élan, avec cet entraînement du cœur. Sire, dit le télégraphe, les fleuves de votre empire débordent, et vos sujets vous appellent. Il n’avait point fini encore, que déjà l|Empereur était parti, les mains pleines d’or et de consolations. Pourquoi dans ce prince magnanime n’avoir vu qu’un uniforme, une décoration et un képi ? Pourquoi, dans plus d’un tableau, avoir placé devant lui des sous-préfets grotesquement émus, et avoir plongé les fonctionnaires dans des extases officielles et imbécilles ? Je regrette vivement que, parmi nos peintres, beaucoup n’aient vu là qu’une cantate de circonstance, une pièce d’à-propos, une flatterie bien venue, et que leur pinceau n’ait pas tremblé dans leur main d’un autre sentiment que de l’espoir d’une commande pour l’année prochaine. C’est ainsi que la grande peinture s’en va, que le drame s’exile de nos tableaux comme de nos livres, et que nous ne sommes plus bons qu’à peindre des chiens habillés, des chaises dépaillées, des jeunes filles d’un blond rageur agaçant des mouches, des charretiers épileptiques, des chevaux gros comme des éléphants, avec des tombereaux pleins de pierres derrière eux. Démolitions ! démolitions ! quand nous remettrons-nous à reconstruire la maison ?

Il fait bon pourtant à rester en plein air, le long des sources, sous les peupliers, dans les prés nouvellement fauchés, avec nos paysagistes. Il se fait en peinture, aujourd’hui, le même mouvement qu’en littérature. Il semble qu’on ait épuisé l’homme, ses grandeurs et ses faiblesses ; on se rapproche de la nature, on l’embrasse, on la serre ; on s’en va aux champs planter des arbres, labourer la terre, faucher les moissons ; on se fait agriculteur et fermier. Combien de grands peintres de paysages n’avons-nous pas aujourd’hui par la plume ou par le pinceau ? Comptez : Georges Sand, Gustave Flaubert, Laprade, Autran, Leconte de Lisle, Daubigny, Théodore Rousseau, Corot, Cabat et mille autres. Les matins de printemps, les soirs d’automne, les midis brûlants, nous envahissent et nous appellent à l’ombre ou au soleil. Je ne m’en plains pas, pour ma part ; j’ai toujours aimé mon Virgile, et préféré les abeilles bourdonnantes même aux imprécations et à la passion de l’infortunée Didon.

M. Daubigny remporte cette année le prix du chant dans cette lutte pastorale de nos Tityre et de nos Corydon de la palette. Il a fait un Printemps, et quel joli printemps ! Sous Louis XV, quelque Boucher n’eût pas manqué, faisant un printemps, de faire voltiger dans l’air un essaim d’amours emplumés ; il eût assis sur l’herbe une bergère enguirlandée de rubans, et mis à ses pieds un berger rose tendre, galantet libertin. Ecoutez maintenant commentnous comprenonsla nature.