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Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/29

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LES ROIS EN VISITE.

Cette douleur du vaincu, cette préoccupation de l’avenir, cette ambition ardente et cachée, qui se fait savante pour se faire puissante, qui rentre ses ongles en attendant qu’elle puisse les jeter à coup sûr vers sa proie, ne me déplaisent point. Il serait puéril après tout de faire au fils de Nicolas le reproche d’être Russe. Il est bon seulement de rappeler qu’à côté de nous vivent d’âpres patriotismes, et qu e nous ne saurions trop alimenter ce feu qui menace de s’éteindre chez nous, sous les cendres de nos discordes intestines. Serrons nos rangs ; ce touriste impérial a le regard profond, et son sourcil s’abaisse souvent sur ses yeux. Au besoin, six cent mille touristes sauvages seraient prèts à l’accompagner.

Voici venir maintenant par contraste un monarque philosophe et artiste, un disciple de Schelling et de Hegel, S. M. Maximilien II de Bavière. Celui-ci ne roule point dans son cerveau tranquille des idées d’ambition et de vengeance ; il ne songe guère à accroitre de quelques pieds carrés ses domaines héréditaires ; il peint, il fait des vers et des traités de philosophie, il poursuitl’absolu. Ce qui n’empêche pas ses sujets d’ètre heureux et de l’adorer. Le plus souvent, il vit retiré avec sa femme, artiste comme lui, loin de Munich, dans un château perdu dans les montagnes. En France, il s’est plu surtout à la Bibliothèque, replacée depuis peu dans la galerie dela librairie de François Ier. Il s’y est fait montrer la collection des chroniques de Bavière, la chalcographie du Louvre, qui se compose de plus de quatre-vingts volumes d’estampes, plusieurs splendides éditions de nos classiques français, anciens et modernes. Ces prédilections ne ressemblent guère à celles du grand-duc Constantin.

Ainsi notre privilège est d’être sans cesse, en Europe, la préoccupation des peuples et des souverains. En temps de révolution, ces peuples se mettent à leur fenêtre pour voir s’ils ne verront pas déboucher au loin sur les routes nos drapeaux et nos tambours ; en temps de paix, les souverains prennent les chemins de fer et viennent nous visiter. C’est pour eux comme une excursion au Vésuve ou à l’Etna. Ils sont curieux de voir, après l’éruption, les laves et la cendre chaude. Qu’ils arrivent donc de tous les points de l’horizon, rois et reines, empereurs.et grands-ducs, Paris transformé les attend, porte doucement les voitures royales sur son tranquille macadam, sourit et minaude aux puissances, en attendant qu’il lui prenne fantaisie de gronder et de rugir. Ce serait alors un autre genre de beauté ; mais il ne faut point avoir une couronne sur la tète pour en jouir à l’aise et la contempler en toute sécurité.


Henri DENYS.