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Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/295

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POÈMES NOCTURNES.

dans la pleine lumière ou dans l’ombre parfaite, — au fond de ses yeux adorables je vois toujours l’heure distinctement, toujours la même, une heure vaste, solennelle, grande comme l’espace, sans division de minutes ni de secondes, — une heure immobile qui n’est pas marquée sur les horloges, et cependant légère comme un soupir, rapide comme un coup d’œil.

Et si quelque importun venait me déranger pendant que mon regard repose sur cet aimable cadran, si quelque Génie malhonnête et intolérant venait me dire : Que regardes-tu là avec tant de soin ? que cherches-tu dans les yeux de cet être ? Y vois-tu l’heure, imbécile ? je répondrais sans hésiter :

— Oui, je vois l’heure ; il est l’Éternité !

LA CHEVELURE.

Laisse-moi respirer longtemps, longtemps, l’odeur de tes cheveux, y plonger tout mon visage comme un homme altéré dans l’eau d’une source, et les agiter avec ma main, comme un mouchoir odorant, pour secouer des souvenirs dans l’air.

Si tu pouvais savoir tout ce que je vois, tout ce que je sens, tout ce que j’entends dans tes cheveux ! Mon âme voyage sur le parfum comme l’âme des autres hommes sur la musique.

Tes cheveux contiennent tout un rêve plein de voilures et de mâtures ; ils contiennent de grandes mers dont les moussons me portent vers de charmants climats, où l’espace est plus vaste et plus profond, où l’atmosphère est parfumée par les fruits, par les feuilles et par la peau humaine.

Dans l’océan de ta chevelure, j’entrevoisun port fourmillantde chants mélancoliques, d’hommes vigoureux de toutes nations, et de navires de toutes formes enlevant leurs silhouettes élégantes sur un ciel immense où frémit une chaleur éternelle.

Dans les caresses de ta chevelure, je retrouve les langueurs des longues journées passées sur le divan, dans la chambre d’un beau navire, bercées par le roulis imperceptible du port, entre les pots de fleurs et les gargoulettes rafraîchissantes.

Dans l’ardent foyer de ta chevelure, je respire l’odeur du tabac mêlé