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Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/302

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LE PRÉSENT.

Qui ne se souvient de l’invasion du singulier phénomène ? Un poids énorme surcharge la poitrine, un abîme est béant sous nos pas, un invisible ennemi s’approche et nous enlace de ses étreintes, toujours plus prochaines, comme les âmes des morts étaient dans l’enfer mythologique emprisonnées par le noir limon et les eaux dormantes du Cocyte. Nous voulons crier, et la voix expire sur nos lèvres ; nous dresser, et les muscles indociles nous refusent leur concours ; nous croyons vouloir, et nos efforts, bientôt épuisés, nous replacent sous la fatale agression. Une syncope ou une attaque extérieure ont fait tout le mal. Tel était le cauchemar de Sancho lorsque, gémissant sous le poids de Maritorne et du muletier, il s’escrimaitcontre d’imaginaires enchanteurs et de trop réels adversaires. Il est encore quelques rêves liés à la vie organique, et dont l’origine est facile à constater. Une personne, qui avait des sinapismes aux pieds, marchait en rêve sur le cratère de l’Etna. — Les rêves qui continuent la vie habituelle des sens, reproduisent volontiers le tableau des images et des affections qui préoccupent la veille. L’artiste prodigue les sons et les couleurs, les avocats parlent, les soldats courent à la victoire, les gourmands sont assis à de splendides banquets. Quelquefois aussi le rêve s’écarte des habitudes de la vie ; et accuse ces ambitions secrètes que chacun nourrit sans les avouer. Le parleur stérile devient en rêve homme d’État, le rimeur poëte, l’érudit inventeur. Chacun tombe ainsi sur sa blessure ; mais cette blessure est souvent profonde et masquée extérieurement par les roses de la santé. Enfin, certains rêves semblent nous initier à un degré d’intelligence dont nos veilles ne furent que rarement gratifiées. Nous entendons des paroles élégantes et choisies ; nous saisissons fortement le principe et le terme d’un raisonnement qui nous avait fni ; une abondante lumière illumine l’intimité d’une science dont nous avons à peine franchi le seuil. Commensal de saint Louis, saint Thomas d’Aquin n’entendait aucune des paroles gracieuses que le roi lui adressait. Le corps immobile, les yeux clos, la face détendue, il paraissait plongé dans un laborieux sommeil. Tout à coup il ouvrit les yeux et la bouche, bondit sur son siége, et s’écria : « J’ai trouvé un argument victorieux contre les Manichéens. »

Par delà les limites de l’observation, nous rencontrons des rêves prophétiques également mentionnés par l’histoire sacrée et l’histoire profane. Jacob voit en songe une échelle lumineuse dont les anges mon-