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M. DE CASSAGNAC, HISTORIEN.

tant en vain, les pieds dans le sang de trois ou quatre émeutes malheureuses, le bonapartisme muet et sommeillant dans le cœur des masses, d’un sommeil que ne put troublerla double apparition successive de l’aigle et de l’héritier de l’empereur. Mieux encore, après avoir prouvé que la minorité imperceptible des opposants est réduite à l’incessante et stérile répétition de ses griefs divers sans espoir de leur donner satisfaction, il groupe autour du trône de Juillet toutes les forces vives de la nation. Le peuple, dit-il, était ami, quoique sans enthousiasme ; l’armée était fidèle avec calme ; bien qu’il eût des raisons de mécontentement, le clergé était soumis, sa raison dominant ses préférences ; l’Europe était bienveillante et les souverains avaient oublié que le vieux roi avait passé par les barricades pour entrer dans leur famille. D’où pouvait donc venir l’orage dans un ciel si pur ? Quelle tempête imprévue allait emporter ce roi si bien assis et ce gouvernement si solide ?

Ce fut, dit M. de Cassagnac, la misérable coalition de quelques ambitieux sans pudeur, de quelques jacobins fossiles et de quelques bourgeois aveugles. On prit une nappe pour drapeau ; on but, on mangea, on parla à Lille, à Dijon, à Châlons, à Mâcon ; on voulut manger, boire et parler à Paris, le gouvernement s’y opposa, et entouré qu’il était du peuple, de l’armée et du clergé, il s’écroula au milieu de la France consternée et de l’Europe stupéfaite.

De pareilles explications de pareils faits sont enfantines. J’accorderai volontiers que M. Guizot était un ministre éloquent, que le vieux roi était plein d’expérience, que ses jeunes fils, véritable élite de loyauté et de courage, faisaient honneur au drapeau, au pays et au trône ; je ne veux nier ni les ambitieux sans pudeur, ni les jacobins fossiles, ni les bourgeois aveugles ; je reconnais l’influence funeste de MM. Odilon Barrot et Duvergier de Hauranne, des banquets et de l’éloquence après boire des députés opposants, mais au-dessus de toutes ces tètes respectables ou coupables, par delà toutes ces causes secondaires d’ordre ou de désordre, de stabilité ou d’anarchie, j’aperçois une raison supérieure, une cause plus haute, qui précipita la dynastie fondée en juillet. Le génie de la France la repoussait. Elle s’était imposée pacifique à un pays guerrier, bourgeoise au peuple de la révolution, liardeuse, intrigante et bavarde à une nation généreuse, droite et plus amoureuse, malgré quelques intempérances passagères de langue, d’action que de parole. Elle n’avait su, crime irrémissible, ni se faire respecter ni nous faire respecter. La déchéance morale était prononcée avant l’abdication écrite. Qu’importaient aux masses quelques articles de la Charte, jury, liberté de la presse, liberté de la tribune dont d’autres qu’elles bénéficiaient ? Qu’importaient à tous ces ouvriers, à tous ces paysans forclos du pays légal, les subtilités constitutionnelles sur lesquelles s’endormait le pouvoir ? Un coup de canon heureux, une bonne parole tombée pour la