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Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/319

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L’ANNÉE DES COSAQUES.

projetaient sur sa figure si douce une ombre fine qui la caressait doucement ; son teint, un peu pâli par la fatigue, s’animait par instants d’un éclat fugitif, et alors ses lèvres s’entr’ouvraient pour laisser passer un sourire sur leur humide corail. Sa tête charmante se balançait comme un beau lis, à droite et à gauche, à l’impulsion de la voiture, et enfin elle vint se reposer sur le sein de Georges en murmurant son nom. Georges ému resta immobile et la regarda. Il comparait dans son esprit ce délicieux moment à ces heures de demi-sommeil qu’il avait passées la tête sur les genoux de Marguerite, alors qu’il prolongeait son bonheur au-delà même du réveil, en feignant de dormir encore, et il soupirait en pensant à ces voluptés d’autrefois. Peu à peu cependant il se laissa aller à la douce influence qui agissait sur ses sens, sa poitrine se souleva de plaisir sous la ravissante tête à laquelle elle servait d’oreiller ; il songea que c’était là pourtant sa fiancée, presque sa femme ; il ressentit un mouvement de joie et de fierté en la voyant si belle et si pure, et se baissant doucement, il effleura d’un baiser ses longs cheveux. Le sommeil des jeunes filles est léger comme celui des enfants et des oiseaux ; Clotilde tressaillit, rougit, rouvrit les yeux et leva vers Georges un visage moitié souriant, moitié fâché ! La tentation était trop forte ; Georges la prit, la serra dans ses bras et pressa ses lèvres sur les siennes. L’enfant lui montrait madame de Lautages endormie en face d’eux et lui rendait ses caresses timidement ; Georges avait tout à fait oublié Marguerite… Soudain un cri lamentable retentit au bord de la route, les chevaux se cabrèrent, et la voiture recula.

— Qu’y a-t-il donc ? dit Georges au postillon en passant la tête à la portière. Marchez, morbleu, marchez donc ! Une seconde plainte plus faible se fit entendre ; le prince tourna la tête vers l’endroit d’où était parti ce gémissement et que le postillon lui désignait du bout de son fouet. Ce qui avait effrayé les chevaux et les avait fait reculer c’était, étendu au revers du fossé, le cadavre d’une jeune fille. En un clin d’œil le prince fut à terre, suivi de Clotilde et de madame de Lautages. Il courut au cadavre, et se laissa tomber auprès de lui en poussant des cris de désespoir. C’était la pauvre Marguerite, vêtue d’habits en lambeaux, les mains et la figure glacées, les pieds ensanglantés et bleus de froid, car les mauvais souliers qu’elle portait étaient déchirés en deux ou trois endroits. Pâle et inanimée, elle était là gisante, sans mouvement.