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DE L’ESSENCE DU RIRE.

ner une preuve immédiate, elle promène avec un geste mystérieux et plein d’autorité sa baguette dans les airs.

Aussitôt le vertige est entré, le vertige circule dans l’air ; on respire le vertige ; c’est le vertige qui remplit les poumons et renouvelle le sang dans le ventricule.

Qu’est-ce que ce vertige ? c’est le comique absolu ; il s’est emparé de chaque être. Léandre, Pierrot, Cassandre font des gestes extraordinaires, qui démontrent clairement qu’ils se sentent introduits de force dans une existence nouvelle. Ils n’en ont pas l’air fâché. Ils s’exercent aux grands désastres et à la destinée tumultueuse qui les attend, comme quelqu’un qui crache dans ses mains et les frotte l’une contre l’autre avant de faire une action d’éclat. Ils font le moulinet avec leurs bras, ils ressemblent à des moulins à vent tourmentés par la tempête. C’est sans doute pour assouplir leurs jointures, ils en auront besoin. Tout cela s’opère avec de gros éclats de rire, pleins d’un vaste contentement ; puis ils sautent les uns par-dessus les autres, et leur agilité et leur aptitude étant bien dûment constatées, suit un éblouissant bouquet de coups de pied, de coups de poing et de soufflets qui font le tapage et la lumière d’une artillerie ; mais tout cela est sans rancune. Tous leurs gestes, tous leurs cris, toutes leurs mines disent : La fée l’a voulu, la destinée nous précipite, je ne m’en afflige pas ; allons ! courons ! élançons-nous ! Et ils s’élancent à travers l’œuvre fantastique, qui, à proprement parler, ne commence que là, c’est-à-dire sur la frontière du merveilleux.

Harlequin et Colombine, à la faveur de ce délire, se sont enfuis en dansant, et d’un pied léger ils vont courir les aventures.

Encore un exemple : celui-là est tiré d’un auteur singulier, esprit très-général, quoi qu’on en dise, et qui unit à la raillerie significative française la gaité folle, mousseuse et légère des pays du soleil, en même temps que le profond comique germanique. Je veux encore parler d’Hoffmann.

Dans le conte intitulé : Dancus Carota, le Roi des Carottes, et par quelques traducteurs la Fiancée du roi, quand la grande troupe des Carottes arrive dans la cour de la ferme où demeure la fiancée, rien n’est plus beau à voir. Tous ces petits personnages d’un rouge écarlate comme un régiment anglais, avec un vaste plumet vert sur la tête comme les chasseurs de carrosse, exécutent des cabrioles et des voltiges merveilleuses sur de petits chevaux. Tout cela se meut avec une agilité surprenante. Ils sont d’autant plus adroits et il leur est d’autant plus facile de retomber sur la tête, qu’elle est plus grosse et plus lourde que le reste du corps, comme les soldats en moelle de sureau qui ont un peu de plomb dans leur schako.

La malheureuse jeune fille, entichée de rêves de grandeur, est fascinée par ce déploiement de forces militaires. Mais qu’une armée à la parade est différente d’une armée dans ses casernes, fourbissant ses armes, astiquant son fourniment, ou, pis encore, ronflant ignoblement sur ses lits de camp puants et sales ! Voilà