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Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/361

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CRITIQUE.

craintes qu’il a conçues ont conduit M. de Montalembert, — à la tolérance. — Mais, hélas ! la tolérance n’est pas encore la justice.

Deux ans bientôt se sont écoulés depuis que M. Augustin Thierry a cessé de vivre. Il avait écrit l’histoire de la liberté en France. — Et qu’importe ? — Ne vous ai-je pas dit qu’il n’était plus depuis déjà deux ans ? — Qui songe à lui, maintenant ? — Le petit nombre des hommes de cœur, le nombre plus petit encore des hommes de science. — Thierry appartient au passé : le présent lui pardonne, et le noble directeur de l’Académie a daigné l’absoudre. Mais l’autre mort, celui de l’année, également aimé, également illustre ? Ah ! celui-là, il fallait le taire.— En vérité, comment parler ? — Alfred de Musset n’est mort que depuis trois mois.

Il y a trois mois, lorsqu’on le conduisit à sa dernière demeure, la foule, heureusement, ne songea pas à accompagner sa dépouille. Quelques amis, quelques admirateurs, des jeunes gens, quelques-uns de ses collègues, ce fut tout. Cette solitude au milieu de laquelle il est parti sera l’éternel honneur du poëte. — Auprès de la tombe, l’Académie s’arrêta, et l’un de ses membres seulement prit la parole. Ce fut un de ces discours sobres et rapides qui ne se résument point. La terre, alors, retomba sur le cercueil avec ce bruit sourd, le premier des grands bruits de l’éternité ; et puis on se sépara. Du poëte mort, on ne parla plus, du moins à l’Académie : sa gloire suspecte était enterrée.

Pauvre poëte, enfant gâté d’abord, puis délaissé de la fortune, triste génie qui t’allumas aux vives flammes de la passion, et qui t’épuras ensuite au feu plus sombre de ses douleurs, voix puissante et regrettée, qui sus te taire plutôt que de profaner en les livrant au monde tes derniers et tes plus intimes accents, telle est la justice qui t’attendait ! L’illustre assemblée dont tu faisais partie souriait, l’autre jour, à cet oubli de ton nom ; oubli sur lequel on avait compté. Ah ! ces grands morts dont parlait M. de Montalembert, et qui lui rappelaient des devoirs, lui ont aussi rappelé des haines. Homme politique avant tout, ce grand esprit n’a-t-il donc appris encore que la tolérance politique, et la tolérance littéraire lui demeurera-t-elle inconnue ? Celui qui écrit de pareils discours dans une langue si belle est digne pourtant d’aimer les poëtes. Mais pourquoi cet appel à l’idéal, pourquoi ces vains encouragements à ceux qui s’essaient, quand un maître est ainsi payé de sa gloire et de ses travaux ? Pourquoi donc invoquer la poésie, si ce qu’elle a créé de plus grand doit être ainsi condamné ?

Mais, surtout, pourquoi se taire si politiquement, quand le silence est inutile, quand il n’est plus qu’une arme dangereuse qui se retourne d’elle-même contre celui qui veut la manier ? La lumière du talent que nous pleurons est faite, et les voûtes muettes de l’Institut s’écrouleraient sur elle aujourd’hui qu’elles ne la remettraient pas sous le boisseau.

Bien des comptes-rendus ont été faits sur cette séance de l’Institut : peu de