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LE SPHYNX.

Madame du Songeux les appela tous deux, et force fut bien au dandy de courir à elle ; mais il se dit en lui offrant le bras que toutes les bontés que lui témoignait la pauvre femme devaient demeurer en pure perte, car il y avait entre eux une robe rose à ramages verts, — Anna tout en gravissant le perron, appuyée sur le bras du jeune homme, signala l’équipage du marquis de Rougé-la-Tour qui franchissait la grille ; son frère lui reprocha de n’y voir pas de loin, et de n’avoir pas distingué M. de Brennes assis à côté du marquis.

Georges avait dit vrai : M. de Brennes avait l’air d’un parfait gentilhomme. Il voulut baiser la main d’Anna, mais elle se tourna vers M. de Rougé-la-Tour qui lui débitaitun compliment assaisonné de beaucoup de pluriels superflus. Le marquis était un pur Normand, haut en couleur, noble au moins par la taille, ce qui est, en général, dans notre temps de sang appauvri, une marque douteuse de noblesse, courageusement emprisonné d’ailleurs dans de beaux habits qui craquaient, car il avait beaucoup d’embonpoint et le geste pénible. Sa parole en revanche était vive et familière ; il convia tout de suite le gentilhomme parisien à l’un de ces déjeuners fabuleux qu’il ne donnait que deux fois l’an ; madame du Songeux venait de lui suggérer l’envie de se montrer magnifique une fois de plus cette année-là. Cette galante invitation lui ayant rappelé tout à coup le pourquoi de sa présence au petit château, il voulut savoir si l’heure du dîner n’était point passée, et tira sa montre de son gousset trop étroit. Cette montre fit sourire Arsène ; elle pouvait en effet servir d’enseigne au véritable état social du personnage.

C’était un échantillon de bijouterie massive, et sur le boîtier d’or étaient relevées en bosses les armes du marquis, surmontées d’une couronne de comte.

— Et moi itou, dit-il, j’ai faim.

Itou est le mot sacramentel des Normands, le commencement et la fin de tous leurs discours un peu bien sentis. On passa dans la salle à manger.


Il y avait dans le salon deux nouveaux invités pour le soir seulement, qui attendaient la fin du repas. Le maire, c’était lui, modestement assis sur l’extrême bord d’un fauteuil, avait déjà dévoré deux journaux ; la