noirs et épais, sortit de la foule. C’était le fils du vieillard qui avait fait la simple oraison funèbre du pauvre paysan.
— Ne perdons pas une minute, dit-il ; mettons-nous en campagne avec nos fusils et battons les bois. Nous trouverons peut-être ceux qui ont fait le coup. Mordieu ! leur affaire sera bonne.
— Bravo ! bravo, Pierre Jarry ! Partons, ce fut le cri unanime.
— Attendez, mes enfants, dit le père Grandpré. Si nous allions voir au village ce qui reste de nos maisons ? L’ennemi est parti ; nons serions mieux chez nous qu’ici en plein air, et je crois le plus fort du danger passé.
Un grand nombre de voix accueillirent cette proposition.
— Il faudrait aussi aller voir là-bas, dit un homme à figure énergique qui montrait du doigt le champ de bataille, s’il y a quelque Russe qui remue encore, on l’achèverait ; s’il y a quelques Français vivant, on le sauverait.
— Oui, oui, adopté.
— Ne serait-il pas bien, dit la mère Thomas, d’enterrer tous ces chrétiens qui ont là leur pauvre corps sur la neige, que ça fait pitié !
— Enterrons les nôtres, dit un jeune homme, et laissons les Russes pourrir comme des chiens.
Un hurrah suivit ces cruelles paroles.
— Voyons, dit le père Grandpré, quels sont ceux qui vont à la chasse aux Russes ?
— Moi ! moi ! tout le monde se présentait.
— Nous ne pouvons y aller tous, reprit-il. Les boulets doivent avoir fait grand remue ménage chez nous ; il y a sans doute de la besogne. Voici donc ce que je propose. Que les jeunes aillent en expédition, et que les autres fassent deux bandes ; l’une va enterrer, l’autre reviendra à Saint-Just, avec les femmes et les enfants. Est-ce convenu ?
— C’est convenu, cria-t-on tout d’une voix.
— Les jeunes gens, continua le père Grandpré, armez-vous ! Combien êtes-vous ? Huit, c’est assez ; seulement ne vous séparez pas et marchez avec précaution. Pas de bruit, point de parole inutile, et si vous rencontrez quelque Russe et que vous puissiez en venir à bout à la fourche, sans coup de fusil, ne tirez pas. À la fourche, à la fourche, comme pour une botte de foin ! Comme il faut un chef en toute occasion, Pierre Jarry vous commandera.
On applaudit à grand bruit, et chacun se disposa à quitter le bois.
Marguerite, qui avait assisté silencieuse à toute cette scène, s’avança près du jeune homme désigné pour être le commandant de la petite expédition.