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CRITIQUE.

Je prêche ou j’en ai l’air ; Dieu m’en garde ! et, chose bizarre ! j’ai le dessein de louer un poëte jeune et charmant ; mais la pensée est une voyageuse irraisonnable, joyeuse, errante, qui ne demande qu’à courir dans les sentiers perdus, qui oublie, qui cueille des bouquets, qui souvent les effeuille et les jette dans la poussière. On voulait essayer un chant de Palœstrina, on gazouille une petite note de M. Adam ; on s’efforçait de dire un air qui trouble le cœur et l’on chante : Au clair de la lune. Pauvres critiques ! si malveillants, dit-on, si malheureux, devrait-on dire, il ne savent où donner de la tête ; quelle porte ouvrir ou quelle âme fermer ? Je les plains, et, quoique mon affection ait le masque de l’injure, j’en ai presque pitié. On a beau faire et beau crier, les critiques sont des amis de l’art, les plus vrais, les plus sincères, et rien ne doit plaire comme leurs douces colères, fleuries et riantes, qui ont les mains ouvertes pour Racine et Shakspeare, qui pleurent avec vous, poëtes et romanciers, et contre lesquels, dans des moments de mauvaise humeur, vous entrez dans des rages ingrates.

Si quelqu’un nous accuse d’ingratitude, ce ne sera certes pas M. de Banville ; nous l’aimons même avant de l’admirer et nous l’admirons en l’aimant. Les critiques ont quelquefois des bonheurs, — rares, hélas ! — comme de rencontrer une œuvre vraiment écrite et vraiment pensée, et alors ces méchantes langues vous saluent de telle sorte, que personne ne peut les imiter. Ah ! voici un livre ! La bonne fortune ! D’où vient-il ? Est-il tombé du ciel ? A-t-il poussé sur les roses ou sur les aubépines du chemin ? Mais pourquoi se demander ces misères et ne pas ouvrir ses complaisances à ces grâces délicates et choisies qui s’adressent aux penseurs. Ô livres ! ô poèmes ! Fleurs printanières, je vous accueille avec joie, avec respect, et dans les détours de mon admiration, je découvre de quoi m’humilier et élever mon esprit.

M. Théodore de Banville est un des esprits les plus heureux de l’époque actuelle : doux, bon, exquis, amoureux de poésie et ne vivant que pour elle. Si parfois il daigne faire de la prose, elle sent le miel de l’Hybla ; on devine qu’il a vu dans ses rèveries Sapho avant le saut de Leucade, Anacréon avant son pépin, bien avant que la mort osât lui clore les yeux. Il aime la Grèce, il en raffole, il l’a bâtie dans son imagination et dans son cœur ; il l’a même embellie et un peu gâtée par un excès de grâce, et quand il essaie la note d’aujourd’hui, la note triste et vaguement affligée, il ne sait plus où il va, il balbutie ; mais il balbutie dans la langue des dieux. Ces dieux, il les adore ; c’est un païen, qui a couru pieds nus dans les marbres penteliques, qui a connu Véaus daxis quelque ville où elle voyageait sous un pseudonyme. Sa ceinture, il l’a dénouée, il en a compté les voluptés, et, ne sachant comment raconter ses joies, il s’est servi de la langue des dieux. Je voudrais, à propos du livre récent de M. de Banville, faire des théories littéraires ; mais ce serait se compromettre que de risquer des