Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/432

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CHRONIQUE.

On ne peut plus faire un pas dans Paris sans heurter du coude un homme des départements, un provincial endimanché, traînant une femme, un parapluie, beaucoup d’enfants, parlant du Louvre et de Charles IX, de la Bastille et de Latude, de Carpentier et de Rothschild. Certes, Paris n’est pas seulement peuplé de Parisiens. Il y a bien quelques étrangers, la perfide Albion envoie ici ses enfants les plus maigres et les plus longs, des êtres curieux, que je ne puis regarder sans rire. Et pourtant, quelle différence entre l’homme d’outre-mer et l’habitant de la province ! L’Anglais garde, dans son faux-col trop raide et son coatchman trop large, un air étrange et distingué. Il est muet, il a caché sa langue au fond de sa valise ; s’il ose parfois s’en servir, s’il parle, on ne comprend point son langage. Mais le provincial est bavard ; il porte dans ses grandes poches une nichée de pies qui s’en donnent à qui mieux mieux, son verbe est haut, son geste magnifique, il faut que je l’entende : on s’éloigne, il est encore sur vos talons, il vous a marché sur les pieds, crevé la poitrine du bout de son parapluie ; c’est bien : vous partez mécontent, froissé ; mais lui, de s’excuser, d’ôter son chapeau, de mettre des gants, de demander pardon, et la famille d’arriver, inquiète, étonnée, frémissante ! les malheureux ! comme si on ne pouvait marcher dans la rue, dans la vie, sans blesser personne. Regardez donc ce Parisien ; et je n’appelle pas de ce nom, l’enfant de la rue Saint-Martin, le vicomte du faubourg Saint-Honoré ; on ne naît pas, on devient parisien. — Nascitur sequanus, fit parisiensis. La rue est encombrée, les voitures vont s’accrocher, les cochers jurent, le trottoir est couvert de monde, la crinoline abonde ! le voyez-vous glisser, le Parisien, poli comme un courtisan, insinuant comme Ulysse, souple comme Protée ; il a mis dix secondes, et sa botte vernie est encore fraîche, il a fait ses remarques en chemin. Il a vu déjà si votre maîtresse est jolie, il a salué cette actrice dans sa calèche, serré la main à ce poëte, il a fait un mot, une course, une affaire. L’homme des départements est encore