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Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/45

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MADAME BOVARY.

rière lui qu’un peu de trouble dans une âme flottante. Néanmoins ses tentatives ont préparé les voies au prochain. Un superbe garçon de trente-quatre ans, M. Rodolphe Boulanger de la Huchette, n’a qu’à s’offrir pour entrer dans les bonnes grâces de la dame comme un vainqueur dans une place démantelée. Avec ce gentillàtre campagnard, verni d’élégance et coureur d’aventures à gages, Mme Bovary rattrape le temps perdu. Bientôt même le plaisir lui semblant trop uni, trop commode, elle met une âcre volupté à se compromettre. Ce qu’il faut, en effet, à cette nature ardente, ce n’est pas quelqu’un à chérir : elle demande surtout à l’amour, agitation, troubles, effroi ; en un mot, tous les incidents dramatiques qui alimentent les tendresses imaginaires. L’insoucieux Rodolphe n’est pas de cet avis.

Il n’a recherché dans Mme Bovary qu’une distraction jolie, spirituelle, élégante et commodément située à une portée de fusil de son chàteau. En présence d’une liaison sérieuse et des embarras d’un voyage de longue haleine, il se retire brusquement. — Un comédien se pénètre quelquefois, jusqu’à l’illusion la plus complète, de l’esprit et de la chaleur d’un rôle ; le même phénomène se produit chez le spectateur : on ne sera donc pas étonné que Mme Bovary, qui en est aux premières expériences de ses rêves, éprouve un coup terrible à la disparition de Rodolphe, ce miroir vivant où elle allait chaque jour contempler l’état de son cœur. Plus tard, dan3 un voyage à Rouen, elle rencontre son premier amour. Ses passions mal éteintes se rallument, et Léon succède à Rodolphe. Mais maintenant c’est la femme qui domine ; elle dirige l’intrigue en habile automédon, et après une course habile à travers la volupté sensuelle, lasse épuisée, mais non pas assouvie, elle désespère de l’amour, et ne peut se réfugier nulle part. Ses lèvres ne sont pas assez pures pour le front de sa fille ; son mari trompé, elle ne peut plus le regarder en face sans remords : les sourires de l’une et les respects de l’autre lui arrivent comme autant de reproches amers. Ce n’est pas tout. À mener une vie de désordres, sa petite fortune s’est sourdement dissipée ; et bientôt tout va être saisi dans ce foyer encore tranquille, où on ne se doute de rien. Pour éviter ce dernier désastre elle s’adresse à ses deux amants : hélas ! ni caresses, ni larmes ne peuvent leur arracher un secours d’argent. Quel refuge lui reste-t-il désormais ? La prière et la résignation ? Mais ce ne sont pas là les fruits d’un accès de colère dans une âme déréglée : les bons sentiments se détournent peu à peu de ceux qui les ont longuement outragés. Mme Bovary demeure donc seule avec ses conseillers ordinaires. Guidée sans doute par une de ses lectures, elle s’empoisonne. Les derniers moments de la pécheresse égarée émeuvent beaucoup, sans doute parce qu’ils sont mis en relief par la douleur profonde de Charles Bovary. Cet homme, qui jusqu’alors a promené