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LE SPHYNX.

vait jamais fait de mal, et, à le juger impartialement, c’est un preux que ce jeune homme. Il est brave, j’en suis sûr ; il est généreux et plein d’honneur. Seulement, il ne se tient point assez en garde contre certaines choses, contre… Son excuse, ajouta-t-il plus bas, c’est qu’il s’ennuie. — Et puis…

Il s’interrompit et Arsène ne répondit rien. — Eh bien ! reprit Georges, te voici prusque convalescent. Ne guériras-tu point de ta folie en même temps que de ton mal ? Que fait maintenant dans ta pauvre cervelle l’image de Julie Moreau ?

— Tu as raison, murmura le malade ; ce n’était qu’une image, et je ne sais quelles ombres l’entourent à présent dans mon esprit. J’ai réfléchi, continua-t-il en essayant de sourire ; je crois que cette pauvre femme est fatale à ceux qui l’aiment.

— C’est toi qui dis cela ? s’écria l’artiste. Tu as donc bien souffert ?

— Je fais comme M. de Brennes… je m’ennuie.

Mais le cri de Georges avait réveillé madame du Songeux. — Eh ! quoi, dit-elle en accourant toute joyeuse, vous parlez donc à présent et vous entendez ?… C’est depuis que je dors ?…

— C’est depuis la dernière nuit, madame, interrompit Arsène. Elle demeura d’abord muette et comme attérée ; mais Georges quitta la chambre : Anna retrouva tout à coup ses forces et sa voix :

— Vous couriez à la recherche de madame Julie Moreau, s’écria-t —elle, lorsque cette vipère vous a mordu. Je le savais, moi, et pourtant… Ah ! vous êtes bien sévère !

Elle étouffait en ce moment une colère si cruelle, elle soutenait une lutte si désespérée contre son orgueil en révolte, que la souffrance allait la vaincre. Elle chancela, et, pour ne pas tomber, elle accrocha convulsivement ses mains aux rideaux du lit. — Arsène eut pitié de ce cœur impérieux qu’il avait si profondément humilié. Il avait eu, d’ailleurs, le triste courage de réfléchir à l’attitude qu’il lui convenait de prendre vis-à-vis d’Anna, et puis il avait peur d’outrager trop gravement une femme.

— Non, non, lui dit-il rapidement, vous ne savez rien, vous imaginez trop…

— Non, je ne le sais pas, je ne veux plus le savoir, s’écria-t-elle. — Et elle s’échappa pour répandre de vraies larmes. Lorsqu’elle se sentit pleurer, elle éprouva quelque chose de violent et d’insensé comme