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LETTRES DU MARÉCHAL SAINT-ARNAUD.

cœur bien serré ; alors je regarde ma croix, mes épaulettes, je pense à nos enfants, à vous, à mon passé, à l’avenir ; je me raidis et je tiens bon, mais mes cheveux blanchissent et mes genoux tremblent. »


Les plus tendres affections remplissaient et réchauffaient, avec l’amour de la gloire, ce noble cœur de soldat. Il était fils excellent et père dévoué.


« Il vaut mieux pour mes enfants qu’ils soient orphelins d’un colonel que d’un chef de bataillon. »


Et ailleurs :


« Je n’ai jamais donné un coup de sabre aux Bédouins sans qu’il y en ait eu un à ton intention et l’autre dans la pensée de mes enfants. Est-ce que tu n’as pas l’intention de demander bientôt une bourse pour mon fils ? Un fils au collége ! Il faut absolument être colonel ! »


C’est ainsi que l’ambition se justifie et s’ennoblit. On aime à voir ce sentiment égoïste et hautain des hommes de bronze s’amollir et se tremper dans le sentiment de la famille ; il y prend quelque chose d’ému et de touchant. M. de Saint-Arnaud ne réservait point pour sa famille seulement cette richesse de cœur qui le rend si sympathique ; il portait à ses soldats une affection toute paternelle.


« Pauvres soldats ! quelle résignation ! quel courage ! Nous, nous avons un mobile, la gloire, l’ambition, et, par-dessus le marché, nous sommes bien vêtus et bien nourris ; mais eux, rien, rien ! et chantant au moindre rayon de soleil. C’est à faire pleurer. Je les aime comme mes enfants, tout en désirant leur faire entendre quelques balles d’un peu près. »


Général en chef, revenant de visiter les hôpitaux de Varna, pendant que le choléra sévissait avec le plus de vigueur, il écrivait :


« J’ai vu là onze cents malades et deux mille malingres qui ne me sortent pas de la pensée. Je crois que, pour être général en chef, il faut être égoïste ; moi, je ne puis pas l’être ; j’aime mes soldats, et je souffre de leurs maux. » Les souvenirs de collège étaient chers à cette âme que tant de pen-