Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/485

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
477
FURETIÈRE ET L’ACADÉMIE FRANÇAISE.

et font patiemment attendre au lecteur un beau passage, un trait de génie qui relève cette correction un peu froide, « malheureusement le beau passage n’arrive presque jamais. »

Ce jugement toutefois serait injuste si nous ne reconnaissions à Furetière une qualité qui lui appartient bien réellement et bien en propre, même à côté de Boileau, la qualité du pittoresque. Observateur par excellence, Furetière, qui devait plus tard doter la littérature française du premier roman réaliste, est plus qu’aucun autre de ses contemporains saisi par le détail des mœurs et par les particularites locales. Il procède en cela des écrivains et des poëtes de l’époque précédente, de Guy Patin et de Saint-Amand. Sa satire n’est pas la satire à la Boileau, satire vague et pédante, qui s’inspire d’Horace et ne copie Régnier qu’en le châtrant prudemment de tout ce qui constitue son caractére et sa physionomie ; c’est une satire précise, datée, prise sur le vif, et qui par instant pousse à la caricature.

Ainsi la satire des Marchands, celle des Médecins, et surtout le fameux Jeu de boule des Procureurs, offrent-ils des peintures, des portraits, des grimaces dont le relief inattendu fait sourire, et qui prouvent chez l’auteur une connaissance approfondie du vocabulaire.

L’Allégorie des troubles du royaume d’Éloquence, à peu près inintelligible aujourd’hui pour quiconque n’a pas en main la clé de l’histoire littéraire, est néanmoins précieuse en ce que, sous forme de plaisanterie, elle nous donne comme le programme du débat qui s’agitait alors dans les lettres. Là encore Furetière se montre bien le partisan de Molière, de Boileau, de tous ceux enfin qui se prévalurent du bon sens pour innover en littérature.

La princesse Rhétorique, fatiguée de l’humeur indisciplinée des Allusions et des Équivoques (toujours Boileau !) se résout à les licencier et à les reléguer au loin dans le pays de Pédanterie. Ces troupes se révoltent, mettent à leur tête Galimathias, et, renforcées par les Antithèses, les Hyperboles, les Allégories, les Épiphonèmes, etc., etc., déclarent la guerre à la princesse. De son côté, Rhétorique bat son ban, et à la diligence de Bon sens, son premier ministre, requiert aide et secours de quarante barons feudataires du pays d’Académie. Furetière s’amuse avec une verve, un peu tendue peut-être, mais à coup sûr très-féconde, à appareiller au style de chacun la nature des troupes qu’il mène à la bataille. Chapelain, qu’il appelle « le grand podesta des terres épiques, » y conduit les comparaisons et les descriptions ; Voiture, assisté de son lieutenant Sarrazin, amène au combat les romans et les gloses ; Saint-Amand, les idylles ; Maynard, les épigrammes ; Colletet et sa fidèle Claudine, toujours ensemble « comme Ferdinand et Isabelle de Castille et d’Aragon, » commandant la petite brigade des madrigaux ; Valentin Conrart, l’homme au silence prudent, n’amène rien du tout et se contente d’agir en diplomate dans son cabinet. La guerre, en appa-