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CHRONIQUE.

les détails de cette heure triste et glorieuse. Il était chevalier de la Légion d’honneur depuis 1852, et l’autre semaine, quelques jours à peine avant sa mort, il faisait porter au ministère d’État un tableau que le gouvernement lui avait commandé : le Départ de Napoléon de l’île d’Elbe. Le peintre avait dû retrouver la jeunesse et s’inspirer dignementde la grandeur du sujet. Belle existence ! Ecumer les mers en compagnie de Surcouf, ètre mousse, aide-timonnier, timonnier, faire des épissures de nœuds, monter à la hune, et finir par prendre le pinceau et mériter sa part de gloire !

Je suis toujours ému en voyant partir pour le cimetière ces vieillards qui ont assisté aux grandes luttes de la République et de l’Empire. Ils commencent à s’en aller, les héros de ce drame où les rois jouaient leurs royaumes et leurs couronnes, où Napoléon avait le grand rôle, et découpait l’Europe du bout de son épée. Aussi suis-je content quand je regarde, bien vieux mais encore verts, les vieux soldats de l’empire se promenant depuis huit jours sur tous les coins de Paris, pour montrer leur médaille. Elle est laide, peu brillante, et ressemble beaucoup à un vieux sou. C’est le sou qui paye la gloire, et ils se trouvent assez riches ! Ils sont bien encore cent mille, ayant droit à la médaille de Sainte-Hélène, ils feront supporter à l’État une dépense de 200,000 fr. Hélas ! chaque année, le budjet de la Légion d’Honneur se trouve bien dégrevé, et bientôt personne, dans les veillées, ne dira plus qu’il a vu le grand Empereur, la veille d’Austerlitz ou de Marengo, venir réchauffer ses mains au feu du bivouac, appelant les capitaines des régiments qui devaient donner le matin.

On annonce une assez curieuse nouvelle. M. Barthélemy, celui-là même qui fit la Némésis, qui s’attira une réponse si belle de M. de Lamartine, et déploya, du reste, un énergique et véritable talent, M. Barthélemy donnerait au Moniteur un nouvel ouvrage en vers. On se demande parfois avec tristesse pourquoi tant d’hommes dont le nom éclatait chaque jour comme un coup de pistolet, au coin des livres, des revues et des assemblées littéraires, sont tombés tout d’un coup dans l’oubli ! M. Barthélemy, de tous les hommes de lettres de ce temps là, est peut-être celui qu’on a le moins vu, le moins rencontré ; sa personne est inconnue. Jamais on ne se l’est montré dans une séance à l’Institut, sur le boulevard, au fond d’un bureau de journal. Il semble qu’il ait voulu cacher son visage et ne pas laisser reconnaître, sous le masque qu’il avait emprunté, l’auteur surpris de la Némésis. Du reste il ne paraît plus un livre.

Ce sont les millionnaires ! ce mois-ci, qui se font hommes de lettres. M. Mirès, dans ses journaux, s’essaie au métier d’écrivain. Débarrassé pour le moment de E. Mugène de Mirecourt, il travaille à prouver que son métier vaut bien celui d’un autre, et qu’on attaque avec violence et mauvaise foi les grands spéculateurs de notre époque. M. Mirès a choisi, pour prétexte à ses réflexions sur le temps présent, un livre de M. Oscar de Vallée intitulé les Manieurs d’argent. Il y a mis de