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Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/51

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LE SALON DE 1857.

blent sortir, comme la Vénus Aphrodite, de l’écume blonde de la mer. Il serait fâcheux pourtant que M. Hamon se laissât aller à cet engouement. Sans doute, il a beaucoup d’esprit et de finesse, le pinceau gracieux et facile, mais c’est trop de papillons, de fleurs, de chevelures aunelées, crespelées, dorées, de corps transparents comme l’eau et roses comme une cerise de mai, je demande grâce. C est charmant, mais c’est trop charmant ; je voudrais un peu de sang dans ces veines, et de femmes vraies au lieu d’ombres mythologiques.

Il faut avouer cependant que dans toute cette famille de sœurs blondes, attifées de jaune et de rose avec un ruban d’azur dans les cheveux, il y en a de ravissantes. Surtout ces deux-là qui, devant la Boutique il quatre sous, font des emplettes et hésitent entre un petit amour fripon appuyé sur son arc et une Minerve austère qui tient en main la couronne pour les jeunes filles sages qui n’ont point d ’amoureux. J’avoue que je tremble du choix qu’elles vont faire ; elles ont tant de modestie, mais aussi tant d’envie de savoir dans les yeux, et la Minerve a l’air si sévère, l’enfant a l’air si fin et si fripon ! Ce sera un grand dommage, car l’innocence sied à ces frais visages comme le duvet à la pêche, comme la poussière d’or aux ailes des papillons que fait si bien et que prodigue tant M. Hamon.

M. Knauss a deux tableaux. Je ne dirai rien du second, les Petits fourrageurs ; il me semble, avec de bonnes parties, inférieur comme ensemble au talent reconnu de M. Knauss ; dans le second, un Convoi funèbre, il y a beaucoup à louer, il y a à blâmer aussi. En pleine campagne, au milieu d’un bois, quatre hommes transportent à bras un pauvre cercueil. En tête marche, portant la croix et fier comme le soldat qui porte le drapeau, un enfant de treize à quatorze ans ; derrière lui viennent deux de ses camarades qui chantent à tue-tête dans le même livre, dont ils tiennent chacun la moitié ; puis des enfants encore et le vieux maître d’école ; puis le cercueil, et enfin les parents, les affligés. Toute cette partie attristante, presque navrante, est reléguée dans le fond ; le premier plan est aux figures d’enfants qui font la tète du convoi. Elles sont ravissantes. J’ai rarement vu rendre avec autant de bonheur la naïve et insouciante cruauté de cet âge qui, dans les plus douloureuses cérémonies, ne voit qu’un prétexte à agitation, à spectacle, à bruit, par exemple ici, le bruit des voix et du chant. L’un de ces enfants surtout me semble un chef-d’œuvre ; c’est le plus petit. Il n’a guère que six à sept ans, huit ans au plus. Il joint les mains de toute sa force ; la piété la plus fervente, en effet, n’est-elle pas pour lui tout entière dans cet acte de joindre les mains ? De plus, il chante à plein gosier, mais avec une telle conviction, un tel entraînement qu’on a peine à se le figurer. On voit parfaitement qu’Il ne comprend pas un mot de ce qu’il crie si fort. N’importe ! il