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Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/53

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M. GRANIER DE CASSAGNAC
HISTORIEN (suite).

Les hommes de Février sont tombés, et quelques belles âmes, pourvues d une mansuétude infinie, toujours prêtes à la miséricorde, voudraient attendrir le jugement de l’histoire sur leur compte ou au moins le retarder, au nom des égards dûs au malheur, à la retraite, voire même à l’exil. J’honore cette sensibilité, je ne trouve point mauvais que ces sœurs de charité de la politique s’en aillent portant sur les champs de bataille du passé l’huile, les parfums, les pardons à pleines mains et la charpie pour les amours-propres saignants, et les incapacités percées d’outre en outre. Mais pareille indulgence, louable dans quelques douces et féminines intelligences, à condition qu’elle ne soit point contagieuse, ne peut être celle de l’homme qui raconte et qui juge les faits.

Je ne m’indigne donc point que M. de Cassagnac soit sans pitié pour l’anarchie de l’Hôtel-de-Ville. On aurait beau, en effet, arguer des difficultés, des obstacles de tout genre qui environnaient les neufs dictateurs, cette excuse 11 est point recevable. On ne se jette dans les hasards qu’à la condition suprême de les dominer, et le manque de génie, en pareille occurrence, doit être proclamé crime inexpiable. Le sénat de Carthage, et un autre sénat plus terrible et plus voisin de nous, punissaient de mort les généraux qui perdaient la bataille. Perdre la bataille en politique quand soi-même on a sonné aux quatre points cardinaux la trompette des guerres civiles et convoqué les orages, est chose plus coupable encore. Il faut qu’on sache bien que quand on détourne tout un peuple de ses voies et qu’on le lance dans l’inconnu, on est tenu, à peine d’anathème, de le faire grand, heureux et puissant. On doit à sa confiance ce salaire de son sang versé, et à la justice de l’histoire cette justification de soi-même et de son ambition.

On est d’autant plus impitoyable envers ces défaites de l’impéritie ; qu’on a remis entre les mains débiles de ces chefs une plus grande part de ses espérances, de son cœur et de son avenir. Aussi j’eusse voulu trouver un peu moins d âpreté