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L’ANNÉE DES COSAQUES..

sœurs de charité ; elles sont toutes aussi plus ou moins médecins. Leur main délicate n’a pas besoin d’apprentissage comme la main rude des hommes pour toucher les plaies ; elles n’ont qu’à poser leurs doigts blancs sur les blessures, et elles semblent se fermer d’elles-mêmes Marguerite avec la pitié sentit éclore une science dans son cœur, et sans le savoir, elle renouvela l’art des châtelaines de l’ancien temps. Elle se mit à genoux près du jeune homme qui ferma les yeux, et se laissa aller comme un enfant gâte ; elle écarta son uniforme, et tirant de son panier le linge qui l’avait recouvert, elle le plia en écharpe et le lia sur la plaie dont les bords rougis tendaient à se rapprocher.

— Là, dit-elle, je réponds de vous, si vous voulez ètre bien sage. Ayez confiance en moi, et je vous sauverai, mais il faut m’obcir aveuglément. D’abord il faut interdire absolument à M. Michel les escapades comme celle de ce soir, et le garder ici près de vous. Si vous saviez les dangers qu’il court en sortant ainsi ! Ici vous êtes en sùreté ; personne ne viendra vous chercher dans cette vieille masure ; je vous apporterai tous les soirs de quoi renouveler vos provisions épuisées, et vous attendrez ainsi avant de partir que vous soyez complètement remis.

— Partir, mademoiselle, partir ! Vous me chassez ? Vous ne voulez pas que je reste à vous voir, à vous admirer ? Ah ! vous voulez que je meure !

De toutes les recommandations de Marguerite, le jeune homme n’avait entendu que le mot qui lui causait un si grand effroi ; et il joignait les mains vers elle en suppliant.

— Monsieur, c’est très-mal, vous ne m’écoutez pas quand je vous parle

— Vous écouter quand je puis vous regarder !

— Et ainsi nous courons risque de ne guère nous entendre. Je dis que vous partirez quand vous serez guéri, pas avant. Ce ne sera pas long, j’espère. Mais promettez-moi de ne pas sortir d’ici, quoi qu’il arrive, sans me prévenir.

— Je vous le promets, mademoiselle, je vous le promets.

— Tout ira au mieux alors. Il faut que je vous quitte, mais je reviendrai. Au revoir, monsieur.

Sans attendre la réponse du jeune homme, Marguerite sortit, regagna le village et rentra sans encombre dans sa petite chambre.

Une huitaine de jours se passa ainsi sans incident remarquable.

Chaque soir le jeune officier attendait avec impatience le moment où, vers onze heures et minuit, il entendait un pas rapide et furtif faire crier les branches mortes dans le sentier, et alors la joie pénétrait à flots avec la santé dans son cœur. Si par hasard Marguerite, retenue par un motif ou par un autre, n’arrivait pas à l heure ordinaire, il envoyait Michel à la découverte, et la fièvre de l’impatience ne le quittait qu’en voyant apparaitre, à la clarté des étoiles, le fichu blanc, les yeux bleus et les cheveux blonds de son charmant médecin. Chaque jour d’ailleurs, ou plutôt chaque nuit, les visites allaient se prolongeant. Marguerite