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L’ANNÉE DES COSAQUES..

et apprenant qu’il avait une fille lui avait dit dela lui amener. Le lendemain, Marguerite était venue au château avec son père. La marquise avait été frappée de la beauté de cette jeune fille, et Clotilde, qui était à peu près de l’âge de Marguerite, lui avait fait le plus charmant accueil et l’avait félicitée gracieusement de son prochain mariage. La visite s’était prolongée, la jeune châtelaine s’était plu à faire causer la jeune paysanne, et elle ne l’avait point quittée sans lui faire promettre de revenir la voir.

— Depuis quelque temps, ma fille, dit au retour le père Grandpré à Marguerite, tu n’es pas gaie comme d’habitude, qu’as-tu donc ?

— Moi, mon père… je vous jure…

— Allons, ne jure pas, j’ai des yeux peut-être. Dis-moi, est-ce ce mariage qui te contrarie ? Te sens-tu de l’inclination pour quelque autre que Pierre ?

— Non, mon père, je vous assure.

— Marguerite, ne cache rien à ton vieux père. Si tu aimes quelqu’un et que ce quelqu’un là soit un brave garçon digne de toi, je te promets que, malgré toute mon affection pour Pierre, je lui donnerai son congé. Ton bonheur avant tout. Allons, cherche bien. Y a-t-il quelqu’un dans le village que tu lui préfères ?

— Non, mon père.

— Eh bien alors, mon enfant, reprends tes couleurs et ta gaieté. Ton mariage est fixé au vingt de ce mois ; nous sommes le dix-huit ; tu as encore deux grands jours, profites-en pour redevenir fraîche et gentille. Il ne faut pas qu’on te voie aller à l’église avec cet air boudeur que tu as depuis quelques jours.

Marguerite souffrait intérieurement, et elle rentra avec plaisir à la maison pour échapper à cette conversation dont chaque mot l’avait navrée. Le soir, elle se retira de bonne heure dans sa chambre. Elle laissa passer l’heure où elle allait d’ordinaire rendre visite à son malade, et minuit avait sonné à l’église du village qu’elle était encore tout habillée sur sa chaise à réfléchir et à tâcher de pénétrer ce mystère de son cœur qui l’entourait et la faisait rèver.

Aussi trouva-t-elle Georges errant hors de la cabane dans le sentier par lequel elle arrivait d’ordinaire. En la voyant, il s’élança vers elle, lui prit la main d’un mouvement convulsif, la serra dans ses doigts amaigris et la porta sur son cœur.

— Vous avez failli, dit-il, me faire mourir d’inquiétude.

— Je n’ai pu venir plus tôt, dit Marguerite en entraînant vers la cabane le jeune homme qui s’arrêtait à la contempler.

— Marguerite, je me sens bien, dit Georges, ne rentrons point dans cette vilaine cabane ; Michel dort, nous le réveillerions. Je me sens fort, faisons une petite promenade autour de l’étang.

Il passa doucement son bras sous celui de la jeune fille. La lune était dans son plein et éclairait les arbresde sa douce lueur qui tombait en faibles rayons comme