LE CŒUR BRISÉ.
Marguerite épouvantée se jeta sur Georges, l’embrassa, lui dit cent fois :
— Georges, je t’aime ; ne meurs pas ; je suis à toi !
Le jeune homme évanoui restait couché dans une mare rouge qui coulait de sa blessure rouverte. La situation était critique ; d’unmomentà l’autre on allait s’éveiller dans la maison ; Georges était perdu s’il était découvert. Cette pensée avait à peine traversé l’esprit de Marguerite qu’elle avait jeté sur le sang de l’eau et des cendres ; puis, soulevant Georges dans ses bras comme elle eût fait d’un enfant, elle descendit précipitamment l’escalier, sortit et s’élança par la route qui menait à l’Étang-Joli. L’amour et le désespoir doublant ses forces, Georges évanoui semblait ne point peser à ses bras vigoureux ; elle courait, elle volait, sans regarder derrière elle. Enfin, elle arriva dans la cabane et posa son cher fardeau sur la mousse des bois ; puis, ses genoux se dérobant sous elle, elle tomba à côté de lui. Quand elle revint à elle, Georges n’avait pas encore repris ses sens. Elle se pencha vers lui et pressa de ses lèvres ses lèvres glacées. Ô bonheur ! un léger soume, faible à ne pas courber une fleur, mais égal et pur cependant, sortait de ses lèvres entr’ouvertes. Marguerite aspira avec délices cette fraîche haleine, et, prompte comme la pensée, ouvrant avec précaution l’habit du blessé, elle se dit qu’il fallait une seconde fois le sauver de la mort.
Tout à coup il fit un mouvement, souleva lentement sa paupière appesantie, et son premier regard rencontra le regard de Marguerite, qui, palpitante, le sein gonflé comme un oiseau qu’emporte la bise, épiait ce retour de la mort à la vie. Un ineffable sourire errait sur ses traits ; le front couvert encore de la moiteur de sa course, le teint coloré par son émotion intérieure, elle restait à demi-courbée
