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LE PRÉSENT.

de personne ; mais je ne serai pas votre maîtresse. Laissez-moi aller et soyez raisonnable. Au revoir !

Elle sortit ; elle rencontra dans le bois cette bande que Michel avait annoncée. Pierre Jarry était à la tête, un fusil à la main, le père Jarry et le père Grandpré marchaient derrière lui ; une troupe en désordre les suivait.

Pierre se précipita au devant de Marguerite ; le père Grandpré serrait déjà sa fille dans ses bras.

— Au nom du ciel, Marguerite, parlez, dit Pierre. Que vous est-il arrivé ?

— Rien de bien extraordinaire. Je vous dirai cela. Marchons.

Après l’avoir embrassée, son père la regardait d’un air sévère.

— Oui, marchons, dit-il, et tu vas nous expliquer tout cela.

On rentra dans le village ; les rues étaient pleines de discoureurs, et on se mettait sur le seuil des portes pour regarder passer la caravane. Arrivés à la ferme, Pierre congédia les jeunes gens qui l’avaient accompagné, Marguerite dit à son père : — Mon père, venez là-haut, je vous dirai tout.

Elle précéda son père et monta à sa chambre. Elle avait, en revenant, pris une grande résolution ; elle voulait dire à son père, tout en se taisant sur le jeune étranger : — je n’aime pas Jarry et je ne veux pas l’épouser ; — mais quand elle se trouva seule, assise face à face avec le vieillard qui lui dit d’un ton bref : — j’attends, — elle sentit défaillir son courage. Elle aimait son père, et savait bien de quelle tendresse elle en était aimée, mais elle savait sa sévérité inflexible sur les choses du devoir. Et puis Marguerite n’était qu’une jeune fille craintive quand les moments de grande crise étaient passés, et elle restait là muette et tremblante devant son père, comme devant un juge.

— Eh bien ! dit-il, ces explications, j’attends.

— Interrogez-moi, je vous répondrai.

— Où as-tu été ce matin ?

— J’ai été faire ma prière à la Vierge des Bois.

On appelait ainsi une petite statue de la Vierge grossièrement taillée, placée dans un carrefour de la forêt, et à laquelle les habitants du village avaient une vénération particulière.

— Bien ; tu ne m’as jamais menti ; je te crois.

Marguerite rougit.

— Et pourquoi cette prière à la Vierge des Bois précisément aujourd’hui ?

— Je voulais lui demander un conseil.

— Lequel ?

— Si je devais, oui ou non, épouser Pierre.

Le père Grandpré se mordit les lèvres.

— Et qu’a-t-elle répondu ?