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Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/103

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QUELQUES CARICATURISTES FRANÇAIS.

rarrangeait, l’expliquait, la commentait ; et la nature se transformait en apocalypse. Il a mis le monde sens dessus dessous. Au fait n’a-t-il pas composé un livre d’images qui s’appelle Le Monde à l’envers ? Il y a des gens superficiels que Granville divertit ; quant à moi, il m’effraie. Car c’est à l’artiste malheureusement que je m’intéresse et non à ses dessins. Quand j’entre dans l’œuvre de Granville, j’éprouve un certain malaise, comme dans un appartement où le désordre serait systématiquement organisé, où des corniches saugrenues s’appuieraient sur le plancher, où les tableaux se présenteraient déformés par des procédés d’opticien, où les objets se blesseraient obliquement par les angles, où les meubles se tiendraient les pieds en l’air, et où les tiroirs s’enfonceraient au lieu de sortir.

Sans doute Granville a fait de belles et bonnes choses, ses habitudes têtues et minutieuses le servant beaucoup. Mais il n’avait pas de souplesse, et aussi n’a jamais su dessiner une femme. Or c’est par le côté fou de son talent que Granville est important. Avant de mourir il appliquait sa volonté, toujours opiniâtre, à noter, sous une forme plastique, la succession des rêves et des cauchemars, avec la précision d’un sténographe qui écrit le discours d’un orateur. L’artiste Granville voulait, oui, il voulait que le crayon expliquât la loi d’association des idées. Granville est très-comique ; mais il est souvent un comique sans le savoir.

Voici maintenant un artiste, bizarre dans sa grâce, mais bien autrement important. Gavarni cependant commença parfaire des dessins de machines, puis des dessins de mode, et il me semble qu’il lui en est resté longtemps un stigmate ; cependant il est juste de dire que Gavarni a toujours été en progrès. Il n’est pas tout à fait un caricaturiste, ni même uniquement un artiste, il est aussi un littérateur. Il effleure, il fait deviner. Le caractère particulier de son comique est une grande finesse d’observation qui va quelquefois jusqu’à la ténuité. Il connaît, comme Marivaux, toute la puissance de la réticence, qui est à la fois une amorce et une flatterie à l’intelligence du public. Il fait lui-même les légendes de ses dessins, et quelquefois très-entortillées. Beaucoup de gens préfèrent Gavarni à Daumier, et cela n’a rien d’étonnant. Comme Gavarni est moins artiste, il est plus facile à comprendre pour eux. Daumier est un génie franc et direct. Otez-lui la légende, le dessin reste une belle et claire chose. Il n’en est pas ainsi de Gavarni ; celui-ci