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Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/106

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LE PRÉSENT.

précié. Il a beaucoup produit, mais il manque de certitude. Il veut être plaisant, et il ne l’est pas à coup sûr. D’autres fois, il trouve une belle chose et il l’ignore. Il s’amende, il se corrige sans cesse ; il se tourne, il se retourne et poursuit un idéal intangible. Il est le prince du guignon. Sa muse est une nymphe de faubourg, pâlotte et mélancolique. À travers toutes ses tergiversations, on suit partout un filon souterrain aux couleurs et au caractère assez notables. Traviès a un profond sentiment des joies et des douleurs du peuple ; il connaît la canaille à fond, et nous pouvons dire qu’il l’a aimée avec une tendre charité. C’est la raison pour laquelle ses Scènes bachiques resteront une œuvre remarquable ; ses chiffonniers d’ailleurs sont généralement très-ressemblants, et toutes ces guenilles ont l’ampleur et la noblesse presque insaisissable du style tout fait, tel que l’offre la nature dans ses caprices. Il ne faut pas oublier que Traviès est le créateur de Mayeux, ce type excentrique et vrai qui a tant amusé Paris. Mayeux est à lui comme Robert-Macaire est à Daumier, comme M. Prudhomme est à Monnier. — En ce temps déjà lointain, il y avait à Paris une espèce de bouffon physionomane, nommé Léclaire, qui courait les guinguettes, les caveaux et les petits théâtrest II faisait des télés d’expression, et entre deux bougies il illuminait successivement sa figure de toutes les passions. C’était le cahier des Caractères des passions de M. Lebrun, peintre du roi. Cet homme, accident bouffon plus commun qu’on ne le suppose dans les castes excentriques, était très-mélancolique et possédé de la rage de l’amitié. En dehors de ses études et de ses représentations grotesques, il passait son temps à chercher un ami, et quand il avait bu, ses yeux pleuvaient abondamment les larmes de la solitude. Cet infortuné possédait une telle puissance objective et une si grande aptitude à se grimer, qu’il imitait à s’y méprendre la bosse, le front plissé d’un bossu, ses grandes pattes simiesques et son parler criard et baveux. Traviès le vît ; on était encore en plein dans la grande ardeur patriotique de Juillet ; une idée lumineuse s’abattit dans son cerveau ; Mayeux fut créé, et pendant longtemps le turbulent Mayeux parla, cria, pérora, gesticula dans la mémoire du peuple parisien. Depuis, on a reconnu que Mayeux existait, et l’on a cru que Traviès l’avait connu et copié. Il en a été ainsi de plusieurs autres populaires créations.

Depuis quelque temps Traviès a disparu de la scène, ôn ne Mit trop