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Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/160

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LE PRÉSENT.

doivent le Tadje, cette merveille de l’architecture musulmane, ce tombeau unique dans le monde où il repose à côté de celle de ses femmes qu’il avait le plus aimée.

Schah-Djehan expia dans ses vieux jours et après quarante années d’un règne glorieux les torts cte sa jeunesse. Il s’était révolté contre son père, Djehan-Guir, il vit à son tour ses enfants révoltés contre lui. Il s’était emparé du trône au préjudice d’un fils de son frère à qui Djehan-Guir l’avait laissé ; il ne put régler l’ordre de sa succession. L’empire, gouverné à peu près comme l’étaient les royaumes de l’Europe à l’époque des grands fiefs, ayant des enfants de l’empereuf parmi ses vice-rois, portait en lui des germes permanents de guerres civiles : aussi, dès que les forces de Schah-Djehan commencèrent à décliner, quatre fils, qui étaient à la tête d’autant de provinces, armèrent pour lui succéder. D’accord pour détrôner leur père, ils se déchirèrent pour s’arracher ses dépouilles. Ainsi avaient fait chez les Gallo-Francs les fils de Louis le Débonnaire. Aurungzeb, l’un des quatre princes, étant parvenu à se débarrasser de ses frères par la violence ou par la ruse, rétablit en sa faveur l’unité du pouvoir.

Schah-Djehan, tombé entre ses mains, passa les dernières années de sa vie dans la forteresse d’Agra, mais entouré des honneurs de la royauté et consolé de la perte du pouvoir par la vaine apparence de son exercice. Cependant, quand il s’éteignit, plein de jours, Aurungzeb passa dans toute l’Asie pour l’avoir empoisonné.

« Nul homme, dit l’auteur de l’Essai sur les mœurs, n’a mieux montré que le bonheur n’est pas le prix de la vertu. Souillé du sang de ses frères, soupçonné, sinon coupable, de parricide, il réussit dans toutes ses entreprises. Il ne mourut qu’en 1707, âgé d’environ cent trois ans. Jamais prince n’eut une carrière si longue et si fortunée : il ajouta à l’empire qu’il tenait de ses ancêtres, les royaumes de Visapour et de Golconde, tout le Carnate, presque tout le Deccan. Cet homme, qui eût péri par le dernier supplice s’il eût pu être jugé par les lois ordinaires des nations, a été sans contredit le plus puissant prince de l’univers[1]. »

En regard de ce jugement porté contre Aurungzeb au nom de la morale éternelle, il n’est pas sans intérêt de placer le panégyrique du

  1. Voltaire, Essai sur les mœurs, etc., chap. 194.