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Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/173

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LE SPHYNX.

que lui causaient toutes ces confidences. L’aïeule le rejoignit et lui dit froidement : Que craignez-vous de votre ami, monsieur ?

— Il ne vous aimait point assez, disait en ce moment Georges à la jeune femme, avec une effrayante ironie. Je le lui ai reproché trop vivement, voilà ce qui nous a brouillés.

Julie se détourna brusquement et se dirigea vers la maison, où sa mère et les deux jeunes gens la suivirent. Mais au moment d’en passer le seuil, madame André arrêta Georges.

— Vous ne savez point, lui dit-elle, tous les plans insensés que ma vieille tête a combinés depuis quelques jours pour sauver cette enfant ! Après une horrible vie, après cinquante ans d’une résignation que nos derniers malheurs n’ont pu démentir, je surprends en moi, tout à coup, de la haine et de la colère et je ne me retrouve plus chrétienne ! Oui, je hais cet aventurier qui prétend me dérober le seul bien de ma vieillesse. Ah ! qu’on me laisse ma fille…

— Madame, interrompit Georges, son mal sera violent, mais elle en guérira, car son âme est jeune et veut vivre, et veut aimer. Une âme comme celle-là ne meurt pas d’un amour indigne.

— Croyez-vous donc qu’elle cessera d’aimer ? Et si vous le croyez, pourquoi ne point lui épargner les tortures de cette agonie ? Vous pourriez l’éclairer, vous !

— Ce serait une trahison, murmura-t-il. Et puis, si j’allais démériter d’elle !

Julie était assise dans la vieille bergère de son aïeule. La lampe posée auprès d’elle projetait une pleine lumière sur son visage, dont ses premières souffrances avaient creusé déjà et comme alourdi les contours francs et légers. Mais ses grands yeux obscurcis s’inondaient encore, par instants, de clartés bien sereines. Elle tressaillit en revoyant M. de Kœblin. Celui-ci alla se poster en face d’elle, dans le Coin le plus obscur du salon, d’où il se mit à contempler les épanouissements furtifs de sa beauté, et cette muette attention peu à peu l’enivra. Madame André demeurait aussi les yeux fixés sur sa fille, et il se formait autour de Julie comme un centre d’attraction passionnée, un foyer de tendresse inquiète, où la pensée de l’ami et celle de la mère venaient se réunir. Tous deux ils épiaient cette impression inexplicable si puissante et déjà si douloureuse qu’elle subissait auprès du bel Onfray. Un retour fatal de vanité éteignait en ce moment, chez