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Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/199

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QUELQUES CARICATURISTES ÉTRANGERS.

grosses jambes de sa chère épouse, qui dépassent l’eau et se tiennent droites, les pointes en l’air. Il paraît que cette grasse personne s’est laissée choir, la tête la première, dans le liquide élément dont l’aspect enthousiasme cet épais cerveau. De cette malheureuse créature, les jambes sont tout ce qu’on voit. Tout à l’heure, ce puissant amant de la nature cherchera flegmatiquement sa femme et ne la trouvera plus.

Le mérite spécial de Georges Cruikshank (je fais abstraction de tous ses autres mérites, finesse d’expression, intelligence du fantastique, etc.) esf une abondance inépuisable dans le grotesque. Cette verve est inconcevable, et elle serait réputée impossible, si les preuves n’étaient pas là, sous forme d’une œuvre immense, collection innombrable de vignettes, longue série d’albums comiques, enfin d’une telle quantité de personnages, de situations, de physionomies, de tableaux grotesques, que la mémoire de l’observateur s’y perd ; le grotesque coule incessamment et inévitablement de la pointe de Cruikshank, comme les rimes riches de la plume des poètes enragés. Le grotesque est son habitude.

Si l’on pouvait analyser sûrement une chose aussi fugitive et impalpable que le sentiment en art, ce je ne sais quoi qui distingue toujours un artiste d’un autre, quelque intime que soit en apparence leur parenté, je dirais que ce qui constitue surtout le grotesque de Cruikshank, c’est la violence extravagante du geste et du mouvement et l’explosion dans l’expression. Tous ses petits personnages miment avec fureur et turbulence comme des acteurs de pantomime. Le seul défaut qu’on puisse lui reprocher est d’être souvent plus homme d’esprit, plus crayonneur qu’artiste ; enfin de ne pas dessiner d’une manière assez consciencieuse. On dirait que, dans le plaisir qu’il éprouve à s’abandonner à sa prodigieuse verve, l’auteur oublie de douer ses personnages d’une vitalité suffisante. Il dessine un peu trop comme les hommes de lettres qui s’amusent aux croquis. Ces prestigieuses petites créatures ne sont pas toujours nées viables. Tout ce monde minuscule se culbute, s’agite et se mêle avec une pétulance indicible, sans trop s’inquiéter si tous ses membres sont bien à leur place naturelle. Ce ne sont trop souvent que des hypothèses humaines qui se démènent comme elles peuvent. Enfin, tel qu’il est, Cruikshank est un artiste doué de riches facultés comiques, et qui restera dans toutes les collections. Mais que dire de ces plagiaires français modernes, impertinents jusqu’au vol non-seulement des sujets et des canevas, mais même de la manière et du